vendredi 21 novembre 2014

La fille de Femme-Araignée

Anne Hillerman est bien la fille de son père Tony, auteur américain de romans policiers ethnologiques, décédé en 2008. Elle marche dans ses pas en reprenant la suite des enquêtes de John Leaphorn. Pari à la fois audacieux et périlleux !
On retrouve Leaphorn, dès les premières lignes du roman. Sous les yeux de Bernadette Manuelito, membre de la police de la Nation Navajo, le vieux flic à la retraite tombe sous les balles d'un tueur qui prend aussitôt la fuite, sans laisser aucun indice. C'est Bernie, la femme de Jim Chee, qui recueille Leaphorn dans ses bras lorsqu'il est abattu. Elle se fait alors un devoir de mener l'enquête aux côtés de Chee. C'est un question d'honneur. Bernie le promet à son ami entre la vie et la mort.
Qui peut en vouloir à Leaphorn ? Règlement de compte au sujet d'une ancienne affaire ?  Une arnaque aux assurances qui aurait mal tournée depuis qu'il est devenu enquêteur privé pour le compte d'assureurs ?  Elle reprend alors les anciens dossiers de Leaphorn pour mettre la main sur le tireur. Elle part également à la recherche de ses proches.  De fil en aiguille, elle tombe sur un dossier lié à l'acquisition de poteries Navajos rares et précieuses et surtout très convoitées par un musée du Nouveau Mexique...
Une fois encore, la culture Navajo est au coeur du récit avec ses mythes, ses objets traditionnels, ses coutumes notamment celles liées à la mort, la structure familiale et toujours les difficultés liées à son intégration dans la société américaine. Anne Hillerman aborde ces questions de façon très féminine et très sensible. Cette écriture à fleur de peau la distingue de celle de son père.
Sans conteste, les femmes sont l'âme de ce roman : Louisa l'amie de Leaphorn, la soeur de Bernie et sa mère, tisseuse. Elle a transmis à sa fille son art que Anne Hillerman  met en en lumière en décrivant avec beaucoup de tendresse les tapis tissés par les femmes Navajos.
Comme son père, Anne Hillerman n'a pas son pareil pour les descriptions de paysages sublimes et immenses. Shiprock, "le rocher ailé" en français, nous paraît grandiose !

Au final, l'intrigue tient en haleine et  le dénouement est  bien ficelé. Certains personnages sont vraiment attachants et touchants. Ce qui  fait de Anne Hillerman une digne héritière de son père. Évidemment, on attend la suite.


La fille de Femme-Araignée, de Anne Hillerman, traduit de l'anglais (américain) par Pierre Bondil, Rivages, 2014

lundi 20 octobre 2014

"Ainsi hallucinait Zarathoustra"

Etre ou ne pas être , tout commence ainsi.  
"Je m’appelle Alper Kamu et j’ai fêté mes cinq ans. A l’approche de mon anniversaire, j’ai passé le plus clair de mon temps posté à la fenêtre, à observer les gens au-dehors. Ils traversaient la vie tantôt accélérant, tantôt ralentissant, et émettaient toutes sortes de bruits, le regard sans cesse en mouvement. J’étais malade à l’idée qu’un jour je deviendrais l’un deux. Malheureusement, il n’y avait aucune autre issue possible ; le temps s’écoutait, inexorable, et je vieillissais vite."

 Alper Kamu est un gamin stambouliote de 5 ans. Rien de bien particulier jusque là. Sauf que, à l'heure où les enfants sont presque au lit avec leur doudou, lui traîne encore dans la rue ! Il est alors le témoin indirect de l'assassinat de son voisin Hicabi Bey, vieux flic à la retraite. Ertan le Timbré regarde la télé paisiblement à côté du cadavre. L'idiot du quartier tombe à point nommé pour les flics chargés de l'enquête. Il n'en fallait pas plus pour l'accuser du meurtre. Mais c'est sans compter sur Alper, qui décide de résoudre l'affaire. Il s'arme de son revolver en plastique (!)  un Dallas Gold, sèche l'école et part arpenter son quartier d'Istanbul de long en large, et de bas en haut ! Finalement ce sale gamin aura raison de cette affaire, (il en trouve la clé dans un rêve, après avoir ingurgité des champignons hallucinogènes...!)  au nez et à la barbe des flics de la ville.
Hallucinant, non ?

L'histoire de ce gamin ultra précoce et surdoué, "Sherlock" des bacs à sable, parait peu crédible mais, très vite, on se laisse happer par son récit, et on en oublierait presque que Alper n'a que 5 ans. Même si parfois on le retrouve sur les terrains de foot avec ses copains de 8 ans, ou au beau milieu d'une castagne avec une bande du quartier voisin. Ce gamin a bel et bien une tête à claques, avis partagé avec la police locale et le patron de son père ! Quel personnage ! Admirateur de Chostakovitch, Shakespeare Nietzche, J.J. Rousseau, il est aussi amoureux de Alev Abla sa jolie voisine de 20 ans.
On rencontre aussi des personnages tout aussi attachants : femmes fatales, petit épicier turque philosophe, gardien d'usine dur à cuire qui complètent un belle description de la ville d'Isatnbul. On y découvre également un autre visage de la mégapole turque : corruption de fonctionnaires, magouilles en tout genre, justice malmenée.
Au final, c'est un petit polar léger, surprenant surtout, et  franchement très drôle ! Alors pourquoi bouder ce plaisir ?!
Merci tout particulier aux éditions Mirobole (j'avais déjà chroniqué sur "Les impliqués" sur ce blog) qui nous entraînent à chaque fois en terre inconnue du polar (Pologne, Turquie).

 L'assassinat d'Hicabi Bey, Alper Kamu, cinq ans, détective de Alper Canigüz, traduit du turc par Célin Vuraler, Mirobole éditions, 2014

jeudi 9 octobre 2014

Le lecteur de cadavres

Si vous êtes amateur de récits historiques plantés au cœur de la Chine du XIIIe siècle mettant en scène des personnages qui subissent les pires déconvenues, mais au destin incroyable, et que le roman policier vous plaît alors voilà un roman pour vous !

Ci, jeune homme d'origine modeste, voit son enfance anéantie en quelques jours : son frère accusé de meurtre est emprisonné, l'incendie de sa maison cause la mort de ses parents et mis en cause dans une sombre arnaque, il est contraint à la fuite.. Un long voyage riche de mésaventures le conduira avec sa petite sœur malade à Lin'an capitale de l'Empire. Il espère entrer à l'université où il souhaite étudier. Plans contrecarrés quand il apprend que son père a déshonoré la famille, toutes les portes lui sont alors fermées. Il deviendra alors " fossoyeur de la mort" dans un des cimetières de la ville. Devenu expert dans l'art d'examiner les morts, il intègre l'académie Ming. Il semble alors toucher son rêve. Brillant élève, il est repéré par l'empereur qui le sollicite pour élucider une série d'assassinats qui menacent l'Empire.

Difficile de résumer ce gros pavé de 700 pages... Jalonné de rebondissements à foison : Amour et trahisons, déconvenues (quel malchanceux !) et complots, mais aussi roman d'aventures et d'apprentissage.


Voilà l'histoire plus ou moins romancée du premier spécialiste de médecine légale le précurseur de l'autopsie des Experts Manhattan, Song Ci. Car c'est effectivement en Chine que l'on retrouve les premiers textes évoquant la pratique de la médecine appliquée à des enquêtes. A l'époque, ces méthodes allaient à l'encontre des règles du Confucianisme qui interdisait l'ouverture des corps. Ci joue de ses talents de fin observateur pour élucider ces morts, ce qui s'apparente pour certains à de la sorcellerie.

L'intrigue de ce roman policier est plutôt légère, on devine rapidement qui est le traître et le final est sans surprise. Dommage. L'intérêt du livre repose plutôt sur l'Histoire de la Chine médiévale. La cour impériale les courtisanes appelées Fleurs, les eunuques, les règles de la cour, les invasions chinoises, la famille, l'éducation des garçons, la place des filles et des femmes. Et surtout le système judiciaire chinois et la façon dont était rendue la justice. L'usage de la torture y était monnaie courante et la justice impitoyable.

Roman intéressant mais je reste sur ma fin : intrigue trop prévisible, prétexte malgré tout à une page d'histoire chinoise très richement  documentée.

"Le lecteur de cadavres" de Antonio Garrido, traduit de l'espagnol par Nelly et Alex Lhermillier, Grasset , 2014






jeudi 25 septembre 2014

Yeruldelgger

Avec un titre imprononçable, une couverture atypique, un auteur méconnu, tout semblait mal engagé pour ce roman paru en octobre 2013. Pourtant, depuis le polar a raflé de nombreux prix de lecteurs et Ian Manook est l' invité de nombreux salons et librairies.
La raison d'un tel succès alors ? C'est probablement l'exotisme des paysages qui a séduit les lecteurs. La Mongolie, c'est le dépaysement assuré. Une culture qui nous est méconnu, celle des descendants de Gengis Khan aux moeurs et coutumes sans pareil, empreints de beaucoup de spiritualités, de croyances ancestrales et du respect de la nature. Des traditions d'ailleurs souvent mises à mal par la jeune génération. Et tout au long du récit, une gastronomie à faire frémir ! Vous avez déjà goûté au thé au beurre rance et salé ? à la marmotte farcie ?  ... Les descriptions d'Oulan-Bator, les yourtes, sans compter les paysages grandioses de steppes, tous ces éléments ont participé au succès du livre.

Autre ingrédient à ce succès, l'intrigue. L'histoire est bien ficelée et elle est ancrée dans l'Histoire de ce pays, étroitement liée à celle de la Chine, de la Corée et de la Russie, des pages de leur Histoire que nous ne connaissons que vaguement en Occident. Quant à Yeruldelgger le flic, il a traversé bien des épreuves : la mort tragique de sa petite fille, une ado rebelle, une femme devenue folle, un beau-père mafieux... Ses coéquipières lui sont intimement liées et  il fait de la mort suspecte de cette petite fille au vélo rose une affaire personnelle.... Ca sent parfois le cliché mais finalement Ian Manook s'en sort plutôt bien. Son style est fluide et tient en haleine. Un excellent page-turner.

"Yeruldelgger" de Ian Manook, éditions Albin Michel, 2013

L'héritage de Tony Hillerman

Pour poursuivre ma quête des polars "ethnologiques", j'ai choisi le roman d'un écrivain aux allures de shérif ! Craig Johnson ! J'ai entr'aperçu son stetson à Quai du polar à Lyon et ce type au chapeau de cowboy vissé sur la tête dans le salon des dédicaces m'a tout de suite plu ! Pour compléter le tableau, son accent américain et son rire tonitruant m'ont convaincue de lire cette série de polars parue chez Gallmeister.


Je démarre par Little bird, le premier volet paru en 2009. Walt Longmire, shérif du comté d'Absaroka dans l'état du Wyoming, s'apprête à prendre une retraite bien méritée. Mais c'est sans compter sur cette dernière affaire qui lui tombe dessus et le  ramène deux ans en arrière. Cody Pritchard est retrouvé mort, il avait été impliqué et condamné précédemment avec sursis dans l'affaire du viol d'une indienne Melissa Little Bird, avec trois autres ados. Mort accidentelle ou vengeance ? Rapidement, l'enquête démontre que quelqu'un cherche à faire payer cher le crime commis par ces jeunes.
J'ai adoré ce livre pour plusieurs raisons. Tout d'abord, l'intrigue est bien menée. Ensuite Walt Longmire est un shérif bien à part et particulièrement attachant. Il a choisi comme adjoint et successeur une femme Vic et compte comme meilleur ami et confident un indien Henry Standing Bear. Une belle amitié qui dure et résiste aux épreuves provoquées par cette sale affaire. Ce qui m'a également séduite c'est le style Nature Writing, la littérature de grands espaces, spécialité éditoriale de Gallmeister déjà éditeur de David Vann, Benjamin Whitmer et Bruce Holbert entre autres. Si vous ne vous connectez pas à Google pour apprécier en images les paysages du Wyoming, inutile de continuer à lire Craig Johnson, et vous aurez loupé quelque chose !
Belle intrusion au coeur de la tribu cheyenne également. 
Autre qualité de Little Bird, ce polar est écrit avec beaucoup d'humour et riche de dialogues très piquants ! Pince-sans-rire, oublieux du politiquement correct, Longmire et Henry m'ont embarquée dans leurs aventures que j'ai hâte de poursuivre. To be continued.

"Little bird" de Craig Johnson, traduit de l'américain par Sophie Aslanides, éditions Gallmeister, 2009

La voie de l'ennemi

Cet été, je me suis lancée dans la lecture de romans policiers dits "ethnologiques" et plus particulièrement ceux consacrés aux indiens d'Amérique du Nord. J'ai commencé par le "début", l'incontournable Tony Hillerman : La Voie de l'ennemi,  son premier roman, paru en 1970 aux Etats-Unis. Le premier de la trilogie des enquêtes de Joe Leaphorn, policier dans une réserve navajo de l'Arizona . 

Je n'ai pas été déçue. C'est une plongée richement documentée dans la culture indienne, comme je m'y attendais. Il faut s'accoutumer aux termes spécifiques (qui sont développés dans le lexique à la fin du roman) mais cette petite contrainte n'entrave pas le plaisir de découvrir cette culture, ces coutumes et légendes indiennes. Sans parler de la description des paysages de canyons, d'arroyos de la région des "Four corners" (à la croisée de quatre états : Utah, Colorado, Arizona et Nouveau Mexique) et de la sérénité qui émerge de ce récit. Quant à l'histoire, on s'y laisse prendre, même si elle présente quelques failles. Je vais prochainement  attaquer la suite Là où dansent les morts et Femme qui écoute. Tout récemment, Anne Hillerman, la "fille de son père" (décédé en 2008) a repris le flambeau en publiant un polar intitulé La fille de Femme araignée  qui remet en selle la police tribale de Joe Leaphorn . A suivre donc.

"La voie de l'ennemi" de Tony Hillerman, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Danièle et Pierre Bondil, éditions Rivages/noir, 1990

jeudi 1 mai 2014

L'homme qui a vu l'homme qui a vu Sasco

Pays basque, janvier 2009. Iban Urtiz assiste à la première conférence de presse de la famille Sasco. Jokin, le fils, ancien militant basque membre d'ETA qui a déjà passé dix ans dans les prisons espagnoles, a disparu. Il s'est volatilisé, sans aucune explication, aucun signe de vie depuis depuis vingt-quatre jours.
Le jeune journaliste, fraîchement débarqué de Savoie, n'est rien de plus qu'un erdaldun, (en langue basque celui qui parle une langue étrangère, en opposition au euskaldun, celui qui parle le basque), une différence de statut qui le tient éloigné de la famille Sasco très méfiante et protégée d'une main de fer par Peio le grand frère toujours attaché à la cause basque. En revanche, sa soeur Etzia, ainsi qu''Elia l'ancienne compagne de Jokin, sont prêtes à collaborer avec le journaliste qui semble déterminé à faire son boulot de journaliste : suivre la trace de Jokin pour le retrouver et faire éclater la vérité sur sa disparition. Une seule question en tête A qui profite le crime?

Alors pour cela, Iban Urtiz va creuser pour découvrir les activités des militants basques, les trafics d'argent, qui le conduiraient à Sasco. Pour mettre à jour les actions menées dans l'ombre par les cellules antiterroristes françaises et espagnoles, le journaliste fouine. Il enquête sur d''autres disparitions et enlèvements de militants basques de part et d'autre de la frontière.
Enquête de tous les dangers pour le journaliste. Il reçoit des avertissements (tu dois choisir ton camp !) et  des menaces de mort. Mais qui les profèrent véritablement ? De quel camp sont ces hommes cachés sous leurs cagoules ? Une enquête difficile et douloureuse qui a pour toile de fond le terrorisme antiterrorisme. Et Iban finira par se brûler les ailes.

Le roman est très poignant et Iban Urtiz, comme l'auteur, font preuve parfois de sollicitude envers les femmes. Elles occupent une place prépondérante dans ce récit. Elles sont elles aussi durement touchées dans ce combat. Mère résignée et taiseuse, soeur et compagne qui subissent nombre d'humiliations et de violences quotidiennes. Des femmes victimes de gardes à vue, abusives parfois, (qui les rendent dures et silencieuses), de séquestrations et de tortures qui les marquent à jamais.

Marin Ledun a tout fait pour ne pas tomber dans le manichéisme. Les violences policières au nom de l'Etat vs le combat de ces jeunes indépendantistes basques. Pas facile mais plutôt réussi. Par ailleurs, c'est vraiment bien documenté. Une intrusion percutante dans les activités d'ETA (Euskadi Ta Askatasuna) des années 2000 qui nous replonge dans les heures les plus sombres de cette région. Qui a oublié les attentats au pays basque, les GAL (les Groupes antiterroristes de libération) dans les années quatre-vingt ! Moi sûrement pas. Un matin d'avril 1985, à Pamplona, une bombe ETA a explosé en bas de mon immeuble. Réveil fracassant et chargé d'angoisse pour les habitants et attaque meurtrière et sanglante pour la patrouille de police visée. Près de trente ans plus tard, on pensait toute cette terreur stoppée de part et d'autre. Il n'en était rien en 2009. Par la suite, en octobre 2011, l'ETA a annoncé l'arrêt définitif de ses actions armées.

Il faut le souligner, dans ce roman, la fiction a rejoint la réalité. Marin Ledun s'est inspiré de la disparition d'un militant basque Jon Anza en avril 2009. La famille Anza est venue saluer l'auteur à l'occasion d'une rencontre dédicace, en se présentant sous le nom des membres de la famille Sasco.

"L'homme qui a vu l'homme" de Marin Ledun, aux éditions Ombres noires, 2014

mardi 22 avril 2014

Ce qui n'est pas écrit

Je me suis laissé tenter par ce roman, après avoir entendu Bernard Poirette sur RTL en faire quelques éloges. Le samedi matin, j'apprécie  la petite chronique du présentateur de la chaîne. Rendez-vous fidèle qui me réjouit et m'inspire. Souvent.

Pour ce roman signé de l'espagnol Rafael Reig, je crois que je suis passée à côté. Pourtant l'idée de départ du roman m'attirait. Carlos emmène son fils Jorge pour une rando en pleine montagne, une nuit en bivouac et la suivante en refuge. Une belle occasion de partager une relation père-fils privilégiée, ce qui leur est impossible puisqu' ils ne vivent plus sous le même toit depuis quelques années et ont eu peu l'opportunité de se voir entre hommes. Dès le début, c'est la déconfiture ! Jorge n'est pas à la hauteur des espérances de son père. Ce gros bébé de 14 ans semble avoir toutes les tares de sa belle famille ! Carlos, lui, n'inspire que crainte et frayeur à son fils.
Quand ils arrivent au refuge, Jorge est surpris et agacé de revoir la petite amie de son père. Carmen, elle, est restée chez elle, pour ne pas mettre en péril cette nouvelle relation père-fils, ce qu'elle regrette rapidement. En effet Carlos lui a laissé le manuscrit d'un roman qu'il vient tout juste de terminer. Après leur départ, elle en entame la lecture. Peu à peu, elle ne peut s'empêcher de lire entre les lignes. Elle transpose alors cette fiction en faits réels, en événements qu'elle a déjà vécus avec son ex-compagnon. Carmen sent monter une angoisse qui  la grignote petit à petit, laissant libre court à une imagination sans limite. Que se passe-t-il vraiment en ce moment dans la montagne ? Comment va Jorge ? N'a -t-elle pas fait preuve d'inconscience en le laissant partir seul avec son père ? Quelles sont les intentions réelles de Carlos ? Règlements de compte familiaux ? Menaces à peine voilées ? Rancoeurs contre Carmen et Jorge ? Le récit se construit autour des trois narrations : Carlos et Jorge / Carmen / le manuscrit, passant de l'un à l'autre et guidant le lecteur (ou le noyant) entre fiction et réalité.

Je m'imaginais que ce thriller psychologique me causerait à moi aussi bien des tourments, que Carmen  angoisserait mes nuits avec ses doutes et ses craintes, mais ça n'a pas été le cas. Dans le même genre d'escapades "bivouac papa-fiston au fin fond de la montagne", je garde en mémoire le fabuleux Sukkwan Island de David Van. Dommage, mais je en suis pas rancunière et suis curieuse de lire le suivant  !

"Ce qui n'est pas écrit" de Rafael Reig, traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse, Ed Métailié, 2014

dimanche 20 avril 2014

Bienvenue en enfer !

Sandrine Collette m'avait glacé le sang en 2013, je l'attendais donc au tournant en 2014 avec son tout dernier roman. Avec beaucoup d'appréhension car comment renouveler un coup de maître, comment faire mieux, ou du moins tout aussi bien ? Je n'ai pas lésiné sur les moyens pour m'attaquer à son deuxième thriller psychologique. En avril, je suis allée la rencontrer aux Quais du polar à Lyon, le must du festival de roman policier dans l'Hexagone. Invitée parmi les poids lourds du genre en ce moment : Ellroy (en guest star, sollicité de toutes parts..) Läckberg, star descendue tout droit de sa Suède natale, Deon Meyer, mon sud-africain préféré, Franck Thilliez et Karine Giebel, couple royal  du thriller français, et j'en passe et des meilleurs et souvent aussi plus discrets... Parmi ceux-là, Sandrine Collette ! Coincée entre deux autres bonnes plumes mais facile à trouver pour toute bonne lectrice  persévérante comme moi ...

Revenons-en aux faits. Un vent de cendres commence par un accident. A couper le souffle. C'est moi qui conduis, moi qui frêne violemment, les pneus qui crissent, moi qui suis prisonnière des taules froissées, les sirènes des secours qui  me transpercent... une description bluffante. Bilan : Andreas le conducteur et Octave un des passagers survivent. Laure la jeune femme qui les accompagne, celle qu' Andreas voulait épouser, ne sera pas épargnée.

Dix années ont passé. Les deux jeunes hommes se sont transformés  en morts vivants, Octave est défiguré. Ils ont trouvé refuge au cœur du vignoble de Champagne. En septembre de cette année, une équipe de vendangeurs arrivent à la propriété. Parmi eux, Camille. Par sa forte ressemblance avec Laure, elle fascine immédiatement Octave, et elle semble envoûtée par ce "monstre". Mais Malo son frangin qui l'accompagne veille sur elle et lui intime de se méfier de ce type au visage et à l'âme ravagés par l'accident. Andreas, qui vit cloîtré dans le maison du domaine, n'est pas dupe de leur petit manège. C'est alors que Malo se volatilise...

Si on pensait que Sandrine Collette en avait fini avec les horreurs dissimulées au fin fond de la campagne française, avec des personnages torturés et blessés dans leur chair et dans leur tête, alors on s'est trompés. Je ne sais pas si les deux hommes sont pires que les deux frangins des Noeuds d'acier, en tout cas, une fois de plus, l'espoir n'est pas de mise. Même si dans ce roman la tension grandit peu à peu et que la peur croit de façon latente, on se prend encore à croire à une fin raisonnablement "heureuse"...

Ce que j'apprécie surtout c'est la façon de raconter la fuite. La fuite du mal, les poursuites oppressantes dans des lieux clos, qui se soldent souvent de façon tragique. Une écriture et un rythme qui rappellent d'autres scènes ponctuées d'angoisses de même nature Délivrance, le labyrinthe de Shining. Et puis comme le précédent roman, Sandrine Collette s'attache à décrire des êtres ravagés et haineux. Andreas et Octave souffrent de blessures irrémédiables. "La mort de Laure est une blessure. Comme tout autre blessure, elle guérira de gré ou de force. Mais elle laissera une cicatrice. Qui lui fera mal par mauvais temps [...]Ou quand il y aura du vague à l'âme, comme on dit qu'il y a du vent. Une cicatrice refermée, qui restera  l'endroit le plus fragile de son corps et de son âme." En quelques lignes, voilà la clef de ce roman.

"Un vent de cendres" de Sandrine Collette, Ed Denoël, 2014

Dossier 64

Après Misérciorde, Profanation et Délivrance, les trois premiers thrillers du danois Jussi Adler Olsen, ce Dossier 64 est un nouveau cold case confié à l'équipe déjantée du département V, confinée au sous-sol du commissariat.

Commençons par les présentations d'ailleurs. Carl Morck flemmard invétéré est inspecteur de police placardisé à la suite d'une affaire sanglante qui a coûté cher à ces deux coéquipiers. Il y a aussi le factotum-balayeur Hafez El-Assad. Il  se présente simplement comme syrien et c'est un mystère à lui tout seul, et  le fil rouge tout au long des romans. Il nous abreuve de réparties truculentes aux parfums de déserts et de dromadaires et de proverbes dignes des plus grands marabouts africains tels que "Qui pisse contre le vent, se rince les dents". Rose n'est pas en reste. Cette secrétaire redoutable et atypique souffre d'un syndrome de double personnalité, une sacrée fille qui embrouille fortement les deux mecs de l'équipe.

Justement c'est de femmes dont il est question dans ce polar. Novembre 2010, la tenancière d'une agence d'escort girls se fait violemment agresser. Rose fait rapidement le rapprochement avec une autre affaire non résolue. En 1987, Rita Nielsen une prostituée s'est volatilisée, sans explication, et, en fouinant un peu, Rose découvre que d'autres disparitions ont eu lieu à la même époque. De fil en aiguille, ces deux affaires conduisent le département V dans les années 50, sur l'île de Sprögo. A cette époque, l'Etat danois y enfermait des femmes considérées comme des rebuts de la société au nom de théories eugénistes.  Des femmes enceintes ou qui dérogeaient à la bonne moralité danoise, considérées comme débiles ou folles. L'Eugénisme prônait l'isolement et la stérilisation contrainte de ces femmes pour éviter qu'elles ne gangrènent la société et la race "pure" danoise, et plus largement les sociétés scandinaves et de l'Europe du Nord. Un passé peu glorieux pour le Danemark qui resurgit en 2010 sous les traits de Curt Wad, un sale type partisan de l'eugénisme (comme son bon vieux papa) et qui met encore en application ces pratiques barbares.

Le sujet est poignant. Et l'histoire de cette vengeance qui mène le récit est plutôt réussie. On avale les six cents pages du roman avec rage. Le Danois a encore réussi son coup. ( Ouf ! Cela compense amplement l'écriture parfois sans relief, comme c'est souvent le cas chez nos auteurs nordiques préférés... ) On attend une suite évidemment. On aimerait savoir qui se cache derrière Assad ? (ou pas d'ailleurs ...!? ) Et puis encore se délecter de cet humour truculent. On  redemande de ces petites leçons de vie prodiguée par Rose  (pour toutes celles et ceux qui se demandaient  "comment faire pipi dans les toilettes des filles"...).

"Dossier 64" de Jussi Adler-Olsen traduit du danois par Caroline Berg, Ed. Albin Michel, 2014

jeudi 6 février 2014

Un Polonais façon Columbo

Ce polar a de quoi surprendre sur de nombreux points.
Pour commencer, il s'agit d'un  roman policier pur jus, un "whodunit" version polonaise : un crime propre et efficace, une scène de crime en huis clos et un enquêteur persévérant. Très peu de place pour les Experts de la police scientifique tel qu'on nous en abreuve tous les dimanches soirs.

Un matin, un homme est retrouvé mort une broche à rôtir plantée dans l'oeil, dans un vieux monastère de Varsovie. Il suivait une thérapie collective dite de constellation familiale avec trois autres patients menée par le thérapeute Rudzki. Les soupçons portent rapidement sur les patients présents, Rudzki et le gardien. Reste à savoir ce qui les aurait poussés à se saisir de cette broche à rôtir meurtrière ! La scène finale est cousue comme un dénouement à la Hercule Poirot.
Le procureur Théodore Szacki qui mène l'enquête est du genre atypique. Il nous promène au volant d"une vieille Citroën. Façon Columbo dans sa Peugeot des années 70-80. La trentaine, cheveux poivre et sel, séduisant. Il a su préserver (momentanément ?) son foyer, femme et enfant. Sans réelle conviction. Pas plus d'ailleurs qu'il n'en a parfois pour la routine de son boulot et le système judiciaire de son pays.

Les romans policiers qui évoquent les pays de l'Est sont finalement peu nombreux, laissant (trop?) souvent la part belle aux auteurs nord-américains ou nordiques. L'Histoire de nos voisins polonais suscite de façon inattendue notre curiosité. L'auteur, Zygmunt Miloszewski, nous présente la Pologne de 2005, loin de celle des années quatre-vingt marquée par un régime totalitaire. On y retrouve des noms presque oubliés : Solidarnosc, le père Popielusko, dont l'assassinat en 1984 par les miliciens a ébranlé l'Europe et bien au-delà. La Pologne porte encore les stigmates de ces années de souffrance et bien des secrets d'Etat restent enfouis. Le crime du monastère trouverait-il ses racines bien avant la chute du communisme ? Szacki nous régale également d'une petite visite de Varsovie. Un brin exotique finalement !

Il ne faut pas se priver de lire ce bon roman policier, découvert par les toutes jeunes éditions bordelaises Mirobole. Une nouvelle enquête de Szacki est annoncée pour 2015 en France.

"Les Impliqués " de Zygmunt  Miloszewski , traduit du polonais par Kamil  Barbarski, Mirobole éditions, 2013.

dimanche 2 février 2014

Oppel sans modération

En 2013, les éditions Syros ont remis à neuf leur collection Souris noire : de nouvelles couvertures et une nouvelle série intitulée Ftp Fais-toi peur ! Un bon dépoussiérage qui paie ! Moi, tout de suite, j'ai eu envie de lire les quatre romans de Jean-Hugues Oppel que je connaissais emballé sous d'autres couvertures, moins attrayantes. Je ne l'ai pas regretté. Oppel, une des bonnes plumes de la littérature policière française m'a enthousiasmée et surtout beaucoup angoissée. Des romans pour ados certes mais les adultes y trouvent leur compte. Les romans sont courts et se dévorent avec délectation.

 J'ai commencé par  Dans le grand bain. Les parents de Delphine ont hérité d'un parc aquatique désaffecté. Tous les jours, elle va nager avec l'orque Sagane, ancienne star du parc dressée pour distraire les visiteurs. Mais un jour, contre toute attente, c'est un requin qui surgit dans le bassin..

Encore une fois, dans Ippon, le récit est à couper le souffle. Sébastien passe la soirée en compagnie de l'étudiante qui lui fait travailler ses devoirs, ses parents dînent chez des amis. Un homme pénètre dans la maison et tue froidement la belle étudiante.Comment déjouer les attaques de son agresseur ? Confiné dans la maison, Sébastien en  judoka avisé fera usage de son art pour sauver sa peau.

Charlotte, l'héroïne de Tigre ! Tigre ! Tigre ! a décidé de piloter l'avion de son père, à son insu. Elle se dissimule à bord de l'appareil mais au moment de décoller, deux espions recherchés par la DGST  prennent les commandes.  Les services secrets sont prêts à tout pour stopper leur fuite..

Nuit rouge est le récit d'un jeune garçon orphelin, en fuite, prisonnier d'une forêt en feu. Sur sa route, les deux pyromanes furieux de croiser le chemin d'un témoin bien gênant...  Alors voilà de vrais romans noirs pour les jeunes, des atouts indéniables pour les séduire : huis clos, terreur et suspens, de vrais thrillers psychologiques rondement menés de main de maître. On en redemande nous aussi !

dimanche 12 janvier 2014

C'est arrivé près de chez vous !

Sans l'ombre d'un doute, voici mon coup de coeur pour l'année 2013.
Thriller psychologique exaltant, huis clos angoissant, Sandrine Collette a réussi un coup de maître pour un premier roman.

Théo Béranger sort de prison. Il faut dire qu'il l'avait bien cherché : tabassage en règle de son frangin Max, transformé depuis en légume tétraplégique. Au final, dix-neuf mois de taule violents et acerbes, qu'il a passés concentré sur un seul objectif : sa libération. Après une mémorable visite au frérot, son errance le conduit dans une région paumée, au cœur d'une forêt bien sombre. Là, retenu prisonnier par ses hôtes, deux vieux frères déments, Basile et Joshua et leur sœur, tout aussi frappée, il va plonger dans un nouvel enfer.

"Je ne suis plus qu'un reste d'humanité. Une entité qui ne pense qu'à manger, boire et dormir, éviter les coups, et à se relever le lendemain. Les vieux avaient raison. Je ne vaux pas beaucoup plus qu'un chien. Je ne suis même pas affectueux. Je suis de la race de ces bêtes galeuses qu'on attache au bout d'une chaîne, et que personne ne veut plus caresser."

Tout au long du récit, Sandrine Collette nous manipule à l'envi. Théo, personnage antipathique dès les premières pages, violent et haineux, se retrouve sous l'emprise des deux vieux. Il devient rapidement leur esclave, réduit à l'état de bête. Violences psychologiques, tortures, viols, c'est un long chapelet d'horreurs quotidiennes et gratuites. Quel brillant tour de force de l'auteur car au fil des pages, Théo va provoquer notre empathie au  fond de sa cave, détruit et humilié comme un vulgaire chien. On s'impatiente de le voir s'échapper, de le voir se venger de Joshua et Basile, de leur faire payer leur cruauté et leur folie. On tourne les pages avec résignation, aucun échappatoire possible à ce calvaire ! Comment sortir indemne de l'horreur de toute façon ?

Dans ce roman, Sandrine Collette évoque les fratries, les relations tumultueuses et conflictuelles entre ces frères et sœurs, Théo et Max, Joshua et Basile et leur sœur, le poids et l'influence des frangins. De quoi s'interroger sur sa propre famille ! C'était d'ailleurs le thème de l'une des rencontres organisées au cours du FIRN (Festival international du roman noir de Frontignan, dans l'Hérault). Sandrine Collette y a beaucoup parlé également de la noirceur et de la folie de ses personnages. Les deux vieux nous glacent le sang, leur inhumanité nous semble impossible. Pourtant des séquestrations comme celle-là font parfois la une des journaux en France ou ailleurs. Rien de rassurant car c'est arrivé près de chez vous...
Sandrine Collette prépare un nouveau roman à paraître en 2014. Je l'attends avec impatience !

"Des noeuds d'acier" de Sandrine Collette aux éditions Denoël, collections Sueurs froides, 2013

mardi 7 janvier 2014

7 jours en Afrique du sud


Voici le tout dernier roman signé Deon Meyer. Encore une fois, cet auteur sud-africain nous tient en haleine avec un polar bien ficelé. 

Hanneke Sloet est une avocate du Cap, retrouvée assassinée chez elle un beau matin. Par un communiste, selon un messager inconnu qui envoie des mails de menace aux flics du Cap, les célèbres Hawks. S'ils ne dénoncent pas ce salaud de communiste qu'ils protègent, le sniper butera un flic par jour. Le capitaine Benny Griessel dispose de sept jours pour venir à bout de l'affaire.

Au delà de l'enquête, Deon Meyer décrypte de façon brillante les multiples facettes de la toute nouvelle société sud-africaine, les années post-apartheid, les tensions et fusions de communautés réunies enfin sous le même toit. Rien à redire sur les qualités du récit, pourtant je reste un peu sur ma fin. Les personnages sont attachants, notamment  Benny Griessel qui traine son penchant refoulé pour la bouteille comme un fardeau. Il se retrouve aux prises d'une belle femme, qu'il aborde de façon maladroite et gauche, ce qui ne manque pas de nous amuser. Quant à l'enquête, elle est surprenante et ardue, bouclée efficacement, sans indice ni témoins, mais j'ai sans doute encore le goût savoureux du précédent roman "A la trace" (2012) et bien avant "Les Soldats de l'Aube" (2003). 
Quoiqu'il en soit, jamais totalement déçu par le sud'af Deon Meyer, on y revient toujours !

"7 jours" de Deon Meyer, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Estelle Roudet, aux éditions Seuil, 2013