mercredi 30 novembre 2016

Tout n'est pas perdu

Alan Forrester est thérapeute à Fairview, petite banlieue américaine cossue et sans histoires. 
Le dossier qui le préoccupe est celui de Jenny Kramer. La jeune adolescente de 15 ans, a été victime d'un viol brutal dans un bois, à quelques pas de la maison où se tenait une soirée bien arrosée entre lycéens. Pour lui épargner les angoisses post-traumatiques, des médecins prennent la décision de lui administrer un médicament qui efface purement et simplement ce souvenir, le Benzatral. Mais sa mémoire émotionnelle n'a rien oublié et, rapidement, les monstres ont refait surface et l'ont poussée au suicide. Sauvée in extremis par sa mère, Jenny veut en finir ou plutôt tout reprendre depuis le début. Elle veut se souvenir de tout, pour chasser les démons et affronter la réalité. Alors les parents confient leur enfant au thérapeute qui accepte, impatient de rencontrer Jenny, car il suit déjà un cas similaire, Sean un jeune soldat qui rentre d'Irak. Il s'agit alors de restaurer les souvenirs de ces deux patients

All is not forgotten ("Tout n'est pas oublié") est le titre original de ce thriller. L'auteur précise à la fin du livre que tout est pure fiction, ce médicament n'existe pas. Et on comprend qu'il soulève de nombreuses questions. Si c'est la mère qui accepte sans hésitation le recours à ce médicament, le père  s'y résigne à contre cœur. Ainsi la famille se déchire, tiraillée entre obsession de la justice et besoin de se reconstruire. 
Pour parvenir à reconstituer la mémoire de Jenny, Alan Forrester va rencontrer tour à tour chaque membre de la famille, décortiquer les souvenirs de leur passé, les traumatismes de l'enfance et ainsi reconstituer le puzzle de leur vie. Un vrai château de cartes au final qui vacille au fil de la lecture.
Entre les bribes des souvenirs de Jenny et l'enquête policière, des éléments vont progressivement mettre en danger la petite famille proprette du thérapeute, en apparence seulement.

Le roman pointe du doigt la manipulation psychologique, celle que subit Jenny à l’insu de tous. Il met aussi en relief les aspérités de petites vies bien rangées, qui dissimulent parfois des secrets enfouis et inavouables. 

Avec Tout n'est pas perdu, vous avez entre les mains un thriller psychologique et une intrigue criminelle bien ficelés qui se termine sur un coup de théâtre.
Wendy Walkerest une romancière à ne pas perdre de vue.

Tout n'est pas perdu de Wendy Walker, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau, Sonatine 2016

mardi 1 novembre 2016

En douce



En douce est le dernier roman de Marin Ledun. J'avais été emballée par L'homme qui a vu l'homme en 2014, alors j'avais hâte de lire à nouveau un de ses romans. Noir, encore une fois. 

Emilie la battante
Dans la lignée des précédents, En douce explore le fond de l'âme d'Emilie, une femme frappée par la violence sociale et par la déshumanisation de notre société. A 35 ans, infirmière épuisée par son boulot, jolie fille qui aime plaire et qui en abuse, orpheline depuis quelques années, elle s'interroge sur le sens de cette vie qui ne la satisfait plus. Son destin bascule quand un accident de la route lui coûte une jambe, son boulot, ses amis, et les quelques repères auxquels sa vie se cramponnait encore... Laissant place à la colère, celle de ceux qui perdent tout, écartés de la société à cause de leur origine ou de leur handicap.
Emilie décroche alors péniblement un job pourri au chenil du coin, dans cette immense forêt landaise à l'abri des regards malsains de ceux que son moignon fascine et que sa déchéance dérange. Elle enrage de toujours subir, elle rumine, elle bouillonne jusqu'à ce jour où elle identifie l'origine de son mal : Simon, celui qui l'a percutée au volant de sa voiture. Il doit payer pour l'avoir dépouillée de tout. Alors elle observe sa proie durant des jours avant de le séduire un soir d'été, le conduire chez elle et le séquestrer après lui avoir tiré une balle dans la jambe. 

Huis clos étouffant
Marin Ledun apporte un soin tout particulier au décor de ce huis clos oppressant : un chenil nauséabond et une caravane angoissante, isolés et cernés d'arbres de cette forêt sans fin et proche de la petite ville où erre Emilie. On s'imagine alors la suite de l'histoire mais Marin Ledun sait nous surprendre.
L'histoire n'est pas celle d'une "simple" séquestration orchestrée par une cruelle Kathy Bates (rappelez-vous le film Misery) landaise. Loin de là. Si elle enferme Simon, c'est pour lui en faire baver à lui aussi, le faire souffrir comme elle a souffert. Mais au final, Emilie orchestre une confrontation avec sa propre histoire, pour en changer le cours. Pour y parvenir, elle fonce dans le tas, quelque soit le prix à payer. Digne et honnête.

Entre polar et roman noir
Au fil des pages, le roman remonte le temps et retrace l'histoire désastreuse d'Emilie, et celle de Simon qui a continué de vivre comme si rien ne s'était passé sur cette nationale.  Marin Ledun choisit de décortiquer les travers de notre société moderne avec toujours autant d’âpreté. Une volonté qui se ressent dans son écriture. Un style sobre et dépouillé, ne laissant aucune place au jugement.

Un final flamboyant
La fin du roman est bouleversante, Emilie sort la tête haute, forçant l'admiration, et non plus la pitié. Enfin libre. 
Une histoire fulgurante. Un sacré bon polar !

En douce de Marin Ledun, éditions Ombres noires, 2016

mardi 6 septembre 2016

Derniers meurtres avant la fin du monde


Les éditions Super 8 présente une trilogie de l'Américain Ben H. Winters.


La fin du monde est proche. Hank Palace, jeune flic  du New Hampshire, le sait. La Terre entière aussi depuis le mois d'octobre. La faute à Maïa, un gros tas de cailloux de 6 km de diamètre qui fonce droit sur notre planète qu'elle percutera dans quelques mois. Évidemment, personne n'avait rien vu venir, ou alors personne ne croyait la chose possible. Pourtant l'impact se produira en Indonésie et progressivement l'occultation du soleil  mettra un terme à toute vie sur Terre. Le compte à rebours est lancé, alors le monde part en vrille : crise financière, institutions en déliquescence, lois d'exception, scènes de pillages, délinquance, abandons de postes. Nombreux sont ceux qui se carapatent pour réaliser leur rêve le plus cher comme pêcher la truite en Alaska, ou goûter à toutes les addictions possibles, bref se payer du bon temps avant la fin du monde.
Dans cette ambiance pré-apocalyptique, d'autres mettent les bouts de façon plus radicale. Le taux de suicide explose, alors pourquoi Hank Palace s'acharne-t-il à enquêter sur la mort de cet agent d'assurance retrouvé pendu dans les toilettes d'un MacDo ? Fin du monde ou pas, le flic est bien décidé à faire son boulot. Il remarque quelques détails troublants qui orientent l'affaire vers un assassinat.
Si l'enquête est de facture plutôt classique, le décor l'est beaucoup moins. C'est le point fort du roman et de la trilogie, à la fin inéluctable. On se laisse embarquer par les événements, à chaque page je me suis demandée ce que chacun de nous ferait. Et si c'était vrai ? Palace lui est confronté à cette vérité et son objectif en attendant le pire, c'est de préserver cette normalité dans un monde qui court à sa perte. Sa façon à lui de sortir la tête haute.
Il a le sens du devoir alors le jeune flic s'entête à faire son job, avec le peu de moyens encore accordés aux inspecteurs. Il s'attache à conserver une certaine normalité dans un monde qui ne l'est plus. Il déjeune chaque midi au restau du coin avec ses copains flics. Il protège et soutient sa petite sœur, s'entiche d'Houdini un petit chien qu'il adopte. Bref, des chouettes types dans un monde de salauds qui avancent à contre courant, gardant un peu de dignité jusqu'à la fin.
Comme un joli bras d'honneur à Maïa.

Mais que fait Bruce Willis ? On se le demande tout au long ce cet excellent roman ... Non, ne vous y trompez pas, Dernier meurtre avant la fin du monde est loin du cliché manichéiste Armaggedon ! Et Palace reste convaincu que la Terre n'a aucune chance de sauver sa peau, quoiqu'en disent quelques illuminés qui crient au complot et qui préparent leur survie post-apocalyptique. Et même Bruce Willis n'y peut rien.

Dernier meurtre avant la fin du monde, traduit de l’anglais (États-Unis) par Valérie Le Plouhinec, Super8 Éditions, 2015


Déclenchement du compte à rebours. J-77 avant Maïa
Si la société se délite à une vitesse incroyable, il reste néanmoins une poignée d'irréductibles hommes et de femmes d'honneur et de conviction. Henry Palace fait partie de ceux-là. Alors lorsque Martha Milano, son ancienne nourrice, lui demande de retrouver son mari disparu, il n'hésite pas un instant et lui promet de le retrouver. Elle est convaincue qu'il est parti accomplir une mission divine. 
Même scénario que le Livre 1. L'enquête n'a rien d'exceptionnel, si ce n'est qu'elle met en scène des personnages que tout oppose et qu'elle dévoile le côté obscure de notre société, à la veille de la fin du monde.
Plus d'école, plus d'hôpitaux, plus d'essence, chacun protège ce qu'il lui reste. Le rationnement alimentaire mis en place ne peut plus être assuré faute de production industrielle, tout le monde a foutu le camp pour essayer de sauver sa peau, laissant place à un marché noir impitoyable. L'approvisionnement en eau est également menacé. Survivre devient alors un combat quotidien. Des mouvements libertaires s'organisent, et des "semblants" de société égalitaires se mettent en place sur des campus.
Pour les autorités américaines, il s'agit à présent de stopper l'envahisseur qui fuit l'Asie du Sud-Est pour trouver refuge loin de la zone d'impact, venu sans doute piller les quelques réserves encore disponibles. Alors ça canarde à tout-va sur les côtes.
Au fil des pages, le personnage de Palace prend de l'épaisseur, bien décidé à faire ses propres choix sans déroger à  sa vision du monde, déclenchant parfois mon admiration !

Il faut reconnaître que Winters a un certain talent  pour faire monter la pression et faire grandir cette angoisse avant l'Apocalypse. On s'y croirait presque.
Winters pose un regard assez juste sur  la société, avec cette galerie de personnages tour à tour généreux et touchants,  mordants ou exécrables. Chacun d'entre eux choisit sa voie.

On devient vraiment addictif à cette histoire. La suite semble inexorable, le titre du Livre 3 à paraitre en septembre ne laisse pas de place au doute : Impact !




J-77, traduit de l’anglais (États-Unis) par Valérie Le Plouhinec, Super8 Éditions, 2016
          








dimanche 21 août 2016

Les Infâmes de Jax Miller

Le bandeau sur la couverture de ce polar annonce la couleur : " Je m'appelle Freedom Oliver. J'ai tué ma fille". Entrée en matière glaçante. Tous les chapitres commencent par la déclaration de son identité et Freedom nous raconte son histoire. Elle a de quoi raconter, tant sa vie a été jalonnée d'obstacles, de déconvenues et de mauvaises rencontres. Écouter un peu ça...

Freedom Olivier, alcoolique et suicidaire, a passé dix-huit ans à se cacher dans une petite ville de l'Oregon, sous protection du FBI. Hantée par son passé douloureux et la mort brutale de son mari, elle souffre d'avoir abandonné ses deux enfants pour échapper à la vengeance de son beau-frère. En apprenant la disparition de sa fille Rebekah, élevée par un pasteur aux croyances radicales, elle part avec l'énergie du désespoir pour le Kentucky. Après tant d'années à se cacher, quitter l'anonymat c'est laisser à son bourreau l'occasion de la retrouver. Et de se venger.

Les Infâmes a un GROS défaut : celui du premier roman. Jax Miller a ressenti le besoin urgent de raconter tous les maux et obscénités de la terre, sans doute tout ce qu'elle avait sur le cœur : violences conjugales, maltraitances d'enfants, abus sexuels, viol, adoption, dysfonctionnements de la justice et de la police, obésité, secte, suicide collectif, terrorisme, handicap, indiens sans terre, légendes indiennes, bikers endiablés, tout y est ! Et là je dis trop c'est trop ! Lourd fardeau pour Freedom Oliver...
Les personnages sont caricaturaux. Par exemple Freedom alcoolique stocke ses petits pilules pour mettre les bouts mais auparavant elle doit montrer de quoi elle est capable, façon Wonder woman. Et le jeune flic du coin, jeune papa qui élève son fils seul, en pince pour cette écorchée vive, il est prêt à tout pour la sortir de cette sale affaire. Heureusement son ex-beau-frère handicapé moteur qui se fait passer pour un débile "vole" au secours  de Freedom.
En prime, invraisemblances et scenario mal ficelé achèvent une bonne fois pour toutes le roman.

Le polar a obtenu le Grand prix des lectrices ELLE policer 2016. On pouvait trouver mieux !?

Les Infâmes de Jax Miller traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire-Marie Clévy, aux Editions Ombres noires, 2015

mardi 9 août 2016

Marli Roode, la relève sud-africaine

Marli Roode est née en Afrique du Sud puis l'a quittée dix-sept ans plus tard. A Londres, elle s'intéresse à la philosophie et au journalisme. Son parcours ressemble à celui de Jo Hartslief, l’héroïne de son premier roman Je l'ai appelée Chien.
Point de départ de l'histoire : Jo est jeune journaliste anglaise qui a coupé les ponts avec son père Nico, raciste et fervent défenseur du régime de l’apartheid. Elle revient en Afrique du Sud à l'occasion d'un reportage sur les émeutes contre les immigrants dans un township de Johannesburg. Son père resté au pays reprend alors contact avec elle. A la demande pressante de ce dernier qui est accusé d'avoir participé au meurtre du militant anti-apartheid Vusi Silongo en 1983 avec les forces spéciales, elle décide de l'aider. Elle va alors écouter le récit de son père, qui tente de se disculper. Point de départ du road trip vers le lieu du crime et à la rencontre de ceux qui ont participé à l’exécution. Le père embarque sa fille dans un voyage semé de pièges et de mensonges, à la fois fuite en avant et retour sur un terrifiant passé. Angoisse assurée !

Marli Roode a choisi mêler le présent et le passé de façon assez déroutante. Et ça fonctionne. On s'interroge sur la culpabilité de cet homme, l'auteur laisse la part belle à de nombreuses questions sans réponse. Nico est-il réellement victime d'un odieux chantage ou a-t-il participé à ces atrocités et manipule sa fille ? Qu'a découvert Jo dans le township et qui est exactement Paul, le fonctionnaire du gouvernement qui la suit à la trace ? Jo s'invente-elle un passé à partir des révélations confuses de son père ? Comme le lecteur, Jo est ébranlée par ce qu'elle entend et par l'attitude de son père qui semble vouloir se racheter de les avoir abandonnées, elle et sa mère.

Marli Roode fait partie de cette jeune génération qui a hérité de l'histoire de son  pays et du devoir de transmission. Elle mêle les événements récents à ceux des heures les plus sombres de l'apartheid. Faisant la preuve que l'Afrique du Sud  n'en a pas terminé avec la ségrégation et la xénophobie. Comme un éternel retour des pires atrocités qu'a subies le pays. Bien sûr, à partir de 1995, le pays a misé sur la commission Vérité et Réconciliation pour s'assurer un futur apaisé mais malgré tout, comment accorder le pardon à ses proches qui ont du sang sur les mains ? Comment accepter de croiser ces bourreaux en liberté ? Pari difficile pour les jeunes Sud-africains résolument tournés vers le futur mais confrontés aux relents du passé de leur pays. Marli Roode a dressé une série de portraits très touchants de jeunes femmes et hommes qui constituent la génération des freeborn d'Afrique du Sud. Ce qui semble être le cœur de ce roman.
Le rythme du roman est un peu lent et décousu mais il laisse par moment place à des scènes d'émeutes très violentes. Une actualité qui rappelle forcément les images des émeutes de Soweto en 1976 et de Sharpeville en 1960, même si le contexte n'est pas le même. Je l'ai appelée Chien  est un roman politique d'une violence qui glace le dos.
Mais c'est surtout un récit subtil notamment sur les relations entre un père et sa fille qui se resserrent puis s'étiolent au fil de ce voyage, dans des paysages envoutants d'Afrique australe.

Je l'ai appelée Chien de Marli Roode, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Fabienne Duvigneau, Rivages 2016





samedi 18 juin 2016

Polar d'Afrique :Janis Otisemi




J'entreprends un tour d'Afrique, une envie qui me titille depuis une conférence à Quais du Polar à Lyon cette année. Autour de la table intitulée "Le monde qui vient passe par l'Afrique"*, une alléchante brochette d'écrivains de polars venus du continent africain : Leye Adenle (Nigéria)  -voir ma récente chronique sur Lagos lady- , Kangni Alem (Togo), Michèle Rowe (Afrique du Sud) -voir ma récente chronique sur Les enfants du Cap- Ahmed Tiab (France, né à Oran) et Janis Otsiemi du Gabon. "Une littérature des multiplicités et des diversités d'Afrique " avec pour chacun de ces auteurs une vision du monde différente, propre à la culture qu'il a reçue. Il y a beaucoup d'Afrique en un seul mot. 

J'explore l'Afrique sous toutes ses formes, et justement un arrêt à Libreville en vaut le détour.

A un an des élections, le corps d'un journaliste d’investigation est retrouvé sur la plage. A qui profite le crime ? Selon toute vraisemblance, Roger Missang est victime d'un règlement de compte politique. Le président de la République est candidat à sa propre succession. Alors, on a voulu se débarrasser d'un fouineur, qui n'hésitait pas à critiquer le parti au pouvoir dans les colonnes de l'hebdo indépendant "les Echos du sud". Mais en Afrique, les apparences sont parfois trompeuses... Au poste de la Police judiciaire de Libreville, d'autres affaires gravitent autour de ce meurtre. Prostitution de mineurs  sur internet, chéquier ministériel volé, les sales affaires ne manquent pas.


Comme souvent dans les polars qui plantent le décor sur le contient noir, on retrouve tous les travers de l'Afrique : corruption à coups de pétrodollars, injustice sociale et politique, immunité de certains Blancs haut - ou bien - placés, liberté de la presse, pauvreté et ghettoïsation, et une société africaine tiraillée entre modernisme et  traditions. Sans aucun doute la réalité politique et sociale.


Janis Otisemi  raconte la réalité de son pays, celle qui se cache derrière la carte postale pour touristes.
Il a "cette volonté de décrire une part d'humanité qui dépasse celle du continent africain" en portant la parole de ce (petit) peuple qu'il connait si bien. Lui aussi est un gamin des bidonvilles, fils d’ouvrier dans le bâtiment et d’une marchande de manioc. Il se plait à user de ce ton corrosif avec lequel il frappe fort. Sans tâtonnement. Il joue parfois avec le feu. Quelques contorsions stylistiques sont des astuces pour dissimuler les choses. La liberté de ton a ses limites au Gabon. Menaces et représailles envers la famille sont  une épée de Damoclès à sa liberté de parole.
Le polar manque un peu de rythme, (et parfois j'ai parfois frôlé l'ennui....) jusqu'au moment où Otisemi nous réveille avec une expression piquante et drôle : rebeloter (répéter), le boussolier (le guide), le téléphone grelotte (il vibre), tourner le cerveau (réfléchir), se serrer l'os (la main), avoir un long crayon (avoir fait de longues études universitaires). Des dialogues aux expressions très imagées que Otsiemi emprunte à la langue française avec laquelle il joue comme un sale gamin ! "Ecrire est toujours une réflexion sur la langue" et il apprécie particulièrement de "jargonner le français, le triturer, se l’approprier, d'où la nécessité des notes en bas de page", un peu comme les Québecois.

Si on est tenté de dire qu'il s'agit d'une langue exotique, lui répond : "Ca n'a rien d'exotique, c'est celle que je parle tous les jours au quartier. J'écris le français avec lequel nous vivons. C'est une langue qui m'habite et j'habite cette langue".
Janis Otsiemi est aujourd'hui un des rares auteurs d'Afrique reconnu et primé dans son pays et à l’étranger. Un écrivain qui monte, pour preuve ce papier élogieux dans Libération à l'occasion de son passage à Lyon. 

Petit regret : Pourquoi Jigal persiste à éditer des polars aux couvertures aussi peu attrayantes... ? Par chance, African tabloïd vient d'être publié chez Pocket.


African Tabloïd de Janis Otsiemi , Jigal Polar 2015




*Ecouter ou ré-écouter les rencontres et conférences Quais du Polar 2016 gratuitement en replay !
Rendez-vous sur le site www.live.quaisdupolar.com, une solution dévelopée par Le Sondier.

samedi 11 juin 2016

Moussa Konaté et L'affaire des coupeurs de têtes


Dernier roman de Moussa Konaté, quelques mois avant sa mort en 2013.  Il y décrit avec tendresse et ironie le village où il a passé une partie de son enfance. Le coupeur de têtes officie à Kita, au Mali. Ses victimes sont des mendiants. Le commissaire Dembélé secondé de Sy sont chargés de l'affaire, rapidement rejoints par le commissaire Habib et son adjoint Sosso venus de la ville pour leur prêter main forte. En effet, l'affaire est corsée : les têtes tombent les unes après les autres, un Esprit vêtu de rouge et armé d'un coupe-coupe hante le village et sème la terreur à la nuit tombée, un mécréant en fait les frais, Sosso est victime d'une tentative de meurtre, une taupe se planque au commissariat et le fou Ngaba traine ostensiblement sur les scènes de crimes..
Ce polar vous assure un dépaysement total !
On est bien loin des méthodes d'investigation américaines ! Même si les intérêts en jeu sont tout aussi vénaux que chez l'oncle Sam... "La scientifique" n'est pas la préoccupation première des enquêteurs. Plutôt du genre bonnes vieilles méthodes : observer et écouter... Au final, l'enquête se boucle façon "Whodunit" et Agatha Christie, dans un salon où sont rassemblés les autorités et les principaux protagonistes.
Toute l’histoire se concentre sur l'histoire du village et de ses habitants et sur leur tiraillement entre croyances ancestrales, sorcellerie et modernité. Pas facile pour certains de se défaire de ces dogmes, les plus jeunes franchissent le cap séduits par plus de modernité, les plus malins les utilisent pour multiplier supercheries et manipulations et se faire la meilleure place au soleil. 
La place de la religion, notamment l'islam, est, elle, aussi essentielle. Le roman nous plonge complétement dans les traditions et la société malienne.
La cohabitation au sein du village entre ethnies Malinkés, Bambaras et Peuls donnent lieu à des conversation ponctuées d'expressions croustillantes, "à l'africaine" ! On sent alors tout l'attachement de l'auteur pour son pays.
En quelques mots, une belle découverte du Mali avec Moussa Konaté. Une écriture simpliste et parfois maladroite (l'éditeur précise que le décès soudain de l'auteur n'a pas permis de réécriture de certains passages) qui ne doit dispenser de ce roman très plaisant et des autres titres du même auteur.

L'Affaire des coupeurs de têtes de Moussa Konaté, Métailié, 2015






jeudi 19 mai 2016

Trois jours et une vie

C'est une erreur de penser que Pierre Lemaitre n'est que le lauréat du Prix Goncourt 2013. Il a auparavant écrit des romans policiers très réussis et le voilà de retour avec un roman noir mais qu'on ne peut pas vraiment qualifier de policier. Quoique ...

Dès les premières pages on connait l'identité du meurtrier. En 1999, Antoine, un gamin ordinaire de douze ans tue Rémi, un enfant de six ans. De rage, pour une histoire de chien. Dans le décor d'une forêt du Jura, il dissimule le cadavre. Personne ne l'a vu, il en est convaincu. Les faits sont là, incroyablement simples et déroutants.
Comme Antoine ne veut pas faire de peine à sa mère qui surement en mourait de honte dans ce petit bourg de province où tout le monde se connait, il décide se taire. A tout jamais. 

Le criminel se place au centre du roman. L'enquête est secondaire, d'ailleurs avec le temps et les événements, et en l'absence d'indices, on la relègue rapidement. C'est d'une cruauté implacable et le portrait de l'enfant disparu jaunit avec les années dans les vitrines des commerçants.

Ne reste que Antoine, avec sa culpabilité. Comment ce gamin va-t-il vivre avec ce poids sur la conscience dans ce village, avec pour voisins la famille de Rémi ? Comment survivre avec cette détresse et cette angoisse qui le submergent rapidement puis, au fil des années, qui s'enfouissent au plus profond de sa vie de jeune adulte, refaisant surface au cours des rares visites qu'il fait à sa mère ? Comment un instant dans la vie d'un enfant sans histoires le transforme en meurtrier, en piètre lâche, mais comment s'en sortir seul quand on a douze ans... même si il suppose que d'autres connaissent son secret et lui accordent leur protection tacite.
La fuite et le mensonge, voilà la solution qui s'imposera à lui tout au long de sa vie. 

Le dénouement en 2015 nous soulage d'un poids, celui-là même qu'on a porté tout au long du roman. Le poids de la culpabilité et cette tristesse envahissante devant la vie ratée d'Antoine

Ecrire un roman post-Goncourt n'est pas chose facile (une nouvelle parfaitement ciselée aurait fait l'affaire peut-être...) mais largement à la portée de cet auteur qu'il ne faut plus lâcher. 
Ouf, Lemaitre garde encore le roman noir et policier au centre de ses préoccupations. Et encore une fois, il présente un tableau peu reluisant de la vie de province, avec quelques personnages détestables. 

Maintenant j'attends avec impatience la suite de la trilogie entamée avec Au revoir là-haut ...

Trois jours et une vie de Pierre Lemaitre, Albin Michel, 2016





Lagos lady


Lagos, Eko en yoruba. La capitale du Nigeria se distingue en occupant une place de choix dans le tout premier roman de Leye Adenle. Ville la plus peuplée du continent africain, tentaculaire au bord du golfe de Guinée où townships de maisons sur pilotis et quartiers chics de Victoria Island s'y côtoient. Ville de tous les dangers gavée d'une criminalité endémique. Les superlatifs ne manquent pas...
A la veille des élections présidentielles, le journaliste Guy Collins y débarque pour la première fois, il ne sera pas déçu de son voyage. Nous non plus ! Dans un bar, il fait la rencontre d'Amaka, plantureuse nigériane. La Lagos lady a pris le parti, à haut risque, de défendre et de veiller sur les milliers de prostituées de la capitale, victimes d'injustices de la part de la police, vols, discriminations, maltraitances de clients et meurtres. Guy Collins en est témoin devant un bar, révulsé devant le cadavre mutilé d'une fille. Le commerce du juju, les gri-gris de chair humaine, est monnaie courante en Afrique, surtout la veille d'échéances politiques cruciales. Amaka soupçonne Chief Amadi d'être un pilier de ce commerce nauséabond et responsable de ces meurtres rituels qui se multiplient. Elle embarque le journaliste dans cette sordide affaire de rituels africains, et lui demande de témoigner au monde des cruautés et des horreurs subies par les prostituées de Lagos au nom de croyances ancestrales et  de faire des révélations explosives sur des personnalités de Lagos .

Roman survolté, Lagos lady va à cent à l'heure. Polar effréné au rythme des courses poursuites, des attaques policières et règlement de comptes, le tout filmé par un Tarantino à la sauce africaine sur fond de musique de l'incontournable Fela. Pleins feux sur des personnages rongés par le vice (élites corrompues et policiers véreux) ou totalement déjantés, mais parfois aussi pleins d'humanité. Ce qui nous accorde quelques bons moments de rire et d'espoir !
Lagos lady porte un autre regard sur la prostitution dans la mégapole africaine. Les prostituées, souvent de jeunes filles, arrivent du Togo ou du Ghana. Amaka fait figure d' ange gardien pour ces femmes qui n'ont pas choisi de livrer leur corps. "Toutes vendaient leur corps pour une bonne raison aussi dérangeant que cela puisse paraitre ." Pourtant leur activité est illégale au Nigeria, et elles mettent leur vie en jeu chaque jour. L'association Les bons Samaritains fondée par Amaka tisse minutieusement un réseau de soutien médical, juridique et social et aide ses femmes à quitter le trottoir et trouver un emploi.

J'ai adoré Lagos Lady ! Le roman surprend avec des effets très cinématographiques et des dialogues piquants et ponctuées d'expressions du dialecte yoruba local.
Ce n'est pas qu'un roman sur la prostitution, c'est aussi un coup de projecteur sur la société africaine, notamment sur la police, et plus particulièrement le Nigeria.

Lagos lady de Leye Adenle  traduit de l'anglais par David Fauquemberg, Métailié Noir, 2016



jeudi 5 mai 2016

Les enfants du Cap

Perséphone, curieux prénom pour un flic ! 
Persy Jonas, jeune métisse, a décidé de raccourcir son prénom sorti du chapeau de son grand-père Poppa le jour de sa naissance, en hommage à une divinité grecque. Elle a été élevée par Poppa, dans une petite ville de la péninsule du Cap, au milieu des fynbos, avec son meilleur ami Sean. Élevé à coups de trique par son père, lui n'a pas eu autant de chance. Dans cette société sud-africaine post-apartheid, Poppa s'est battu pour que sa petite-fille entre dans une école réputée du Cap plutôt fréquentée par des Blanches et des métis de bonnes familles. Alors quand elle est entrée à l'école de police, le vieux monsieur a été surpris par ce choix. 

Persy vit aujourd'hui dans la banlieue du Cap comme de nombreux travailleurs noirs et les laisser-pour-compte blancs, noirs et métisses. Dans ces townships, les cabanes miséreuses sont plantées dans un paysage côtier éblouissant, à quelques kilomètres des villas coloniales et prétentieuses des Blancs. 

La péninsule du Cap est le théâtre majestueux d'une lutte acharnée entre défenseurs de la protection de la flore et de la préservation des paysages et farouches partisans du développement immobilier de la région. Des convoitises foncières seraient à l'origine du meurtre de Andy Sherwood, retrouvé sans vie sur la plage de Noordhoek par Marge Labuschagne. Autrefois psychologue criminelle, elle s'est rangée et est engagée pour la protection du littoral. L'affaire a été confiée à Persy. Les deux femmes s'obstinent à faire toute la lumière sur ce meurtre étroitement lié à des affaires plus anciennes, enfouies au plus profond de leurs âmes.

Marge et Persy, deux vies opposées. L'une est Blanche et a vécu sous le régime de l'apartheid, a participé aux commissions Vérité et réconciliation. L'autre est une métisse "freeborn" (les enfants nés après 1990, à la fin des lois apartheid). Leur rencontre fait des étincelles. Elle met en lumière les vieux démons toujours présents en Afrique du Sud : expropriation des plus pauvres, dominance et mépris des Blancs, townships et zones de non-droits et crise sociale. Le polar nous plonge au cœur de la nouvelle société arc-en-ciel qui se retrouve à présent confrontée à des obstacles de taille. Avec un taux de criminalité et la violence sans précédent, la corruption policière, l'immigration galopante et les spéculations économiques effrénées, le pays a déchanté. L'euphorie et les espoirs nés aux lendemains des premières élections démocratiques se sont éloignés.

Tout juste publié en France, le premier roman de Michèle Rowe retrace l'histoire touchante de ces deux enfants et de cette femme larguée. Bon point, l'intrigue du polar est nerveuse et bien menée. Il est comparé à ceux écrits par le talentueux représentant sud-africain Deon Meyer. Pourquoi pas, mais on attend de lire la suite des enquêtes de Perséphone. En espérant qu'elles nous conduisent encore une fois dans le décor de la péninsule du Cap.

Les enfants du Cap, de Michèle Rowe, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Esther Ménévis, Albin Michel, 2016




lundi 28 mars 2016

Qui a tué l'ayatollah Kanuni ?

Un titre simple qui résume toute l'intrigue de ce roman de l'Iranienne Naïri Nahapétian.

L'ayatollah Kanuni, un barbu du régime d'Iran, est au centre du polar. Retrouvé assassiné dans son bureau du palais de justice. Découvert par une féministe islamique fortement engagée politiquement, Leïla, et un jeune Français Narek ignorant tout de ses origines iraniennes qui y séjourne comme jeune reporter pour un hebdo parisien à l'occasion des élections présidentielles. Mirza Mozaffar, un ancien ministre laïque et amie de Leïla, enquête lui aussi à leur côté. Une enquête qui s'avère rapidement difficile et dangereuse. Car qui en veut à l'ayatollah ? Anciens rivaux, assassinat lié aux guerres de pouvoir, ou à des  intérêts économiques bien dissimulés ? Non rien n'est simple dans ce contexte politique en 2005. Le roman nous conduit à la veille de la première élection d'Ahmadinejad," le fanatique " ou celui que " les vrais Iraniens adorent ". Un pays imprégné d'islam, au cœur de la vie des Iraniens - surtout celles des Iraniennes - le pétrole et le gaz comme monnaie d'échange avec les puissances occidentales, la diabolisation des Américains, les moudjahidin et les prisons où s'entassent opposants politiques et religieux de tous âges. Les enquêteurs vont découvrir que le pouvoir est gangréné par la corruption, en particulier les fondations islamiques, et surtout que l'argent au cœur des ce trafic n'a pas d'odeur.

Belle invitation  au pays des Barbus d'Iran, guidée par cette Iranienne qui vit en France depuis l'âge de neuf ans, aux lendemains de la Révolution sanglante islamique. Elle propose un portrait surprenant de Leïla, féministe islamique d'Iran, à la fois intriguée et apeurée par la notion de Liberté des pays occidentaux. Et un coup de projecteur fascinant et effrayant sur l'Iran. 
Sûr ! Rien n'a voir avec un polar suédois !

Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? de Naïri Nahapétian, Liana Lévi, 2008.

samedi 19 mars 2016

Il reste la poussière


Quatrième roman paru dans l'excellente collection "Sueurs Froides" de Denoël, Il reste la poussière confirme (si cela était encore bien nécessaire...) le talent de Sandrine Collette, championne hexagonale du huis clos.

Si dans Nœuds d'acier Théo était réduit à l'état de bête confinée au fond de la cave de deux vieux frères cruels et dépourvus de toute humanité, Rafael lui subit l'impitoyable cruauté de ses frères au beau milieu des grands espaces de la steppe argentine. La Patagonie semble alors tout aussi oppressante que cette cave. Des terres à perte de vue, où le bétail s'égare, les hommes aussi d'ailleurs. Une estancia posée au milieu de nulle part, balayée par le vent.  Et la ville à quelques heures de cheval. C'est dans ce décor, au début du siècle dernier, que grandit le gamin de dix ans. Avec ses frères ainés, les jumeaux Joaquim et Mauro, Steban, et "la mère". Increvable et vieille crevure qui mène la ferme et ses fils d'une main de fer. La vie est un enfer pour Rafael souffre-douleur des jumeaux, il est prisonnier de leur haine. Rien à attendre de la mère, qui n'a pour obsession que le bétail et la survie de la ferme depuis que le père s'est "volatilisé" un beau matin. Quand elle descend à la ville pour affaires, elle picole et joue au poker les quelques billets âprement gagnés par le travail de bête de ses fils. C'est à la table de jeu que l'histoire de la famille bascule, quand, à sec de billets, elle mise son aîné...

La cruauté n'a pas de limite pour Sandrine Collette, mais elle façonne des personnages qui lui résistent avec acharnement. Ce gamin affronte la rudesse de son existence avec beaucoup d'humanité. Il fait face à cette haine quotidienne, il a pour seuls compagnons son cheval et son chien. Sans avoir les mains liées, il est prisonnier de la fratrie. Il les deteste tous mais comment s'en détacher ? Vers qui se tourner de toute façon ? Et partir où ? Où chercher la liberté ? Rafael ne connaît que la ferme et les terres alentours où il chevauche sur les traces des troupeaux. Un jour, enfin la chance lui sourit, il fait la rencontre de l'abuelo et du "bonheur"qui lui sauveront la vie. Lui qui ne connaît que le mot "malheur" que la mère vocifère chaque jour.

On retrouve dans le roman tous les sujets de prédilection de Sandrine Collette -  fratrie cruelle exempte d'amour, violence et cruauté des hommes, territoires inhospitaliers et climats rigoureux - avec beaucoup de justesse, sans concessions. Et sur les terres argentines, elle nous dévoile sa passion pour les chevaux.
Grande voyageuse dans l'âme, Sandrine Collette nous entraîne dans des paysages très différents qui rendent souvent les âmes noires aux hommes qui y vivent : décor rural du fin fond de la France, montagnes d'Europe centrale, et pour Il reste la poussière, on file en Patagonie, au début du siècle, où les petits éleveurs tentent de survivre face à la prolifération des grands élevages de bovins, à la "viande sans goût". Les prémices de la "mondialisation moderne" y éradiquent déjà de façon impitoyable les petits paysans.
Quel roman noir ! Il me rappelle celui de Anne-Laure Bondoux Les larmes de l'Assassin, merveilleuse histoire plantée dans ces paysages de désolation argentins où un gamin est confronté à la cruauté humaine. Même innocence et même espérance. 
Les dernières pages sont jubilatoires ! Eblouissantes ! Rafael est enfin libre...

Il reste la poussière de Sandrine Colette publié aux éditions Denoël, 2016



dimanche 6 mars 2016

Les enfants de l'eau noire


Welcome to Texas ! Années 1930. Élevée dans la misère au bord de la Sabine, May Linn, jolie brin de fille de seize ans, rêve de devenir star de cinéma. Un rêve qui s'achève brutalement lorsqu'on repêche dans le fleuve son cadavre mutilé, retenu au fond de l'eau par une vieille machine à coudre. Pas d'enquête, à quoi bon déranger les forces de l'ordre pour une miséreuse. D'ailleurs elle sera enterrée au cimetière des indigents.
Sue Ellen, sa camarade adolescente, accompagnée de ses amis Terry, beau garçon homosexuel, et Jinx, une jeune Noire qui n'a pas la langue dans sa poche, décident alors de l'exhumer, de l'incinérer et d'emporter ses cendres à Hollywood, l'endroit de ses rêves ! Pour cela ils doivent descendre le fleuve...
Voler un radeau rien de plus facile, mais ils ont besoin de quelques dollars pour arriver jusqu'à destination. Avec beaucoup de culot, les gamins récupèrent le magot d'un hold-up. Ensuite, la bande rejointe par la mère dépressive de Sue Ellen, s'embarque dans une périlleuse descente du fleuve, le diable aux trousses. Car non seulement Sy, flic violent et corrompu, et l'oncle Eugene bien décidé à récupérer le pognon les pourchassent, mais Skunk, un monstre sorti de l'enfer, cherche aussi à leur faire la peau. 

De la littérature américaine pur jus ! 

Décor Deep South. Joe R. Lansdale, Texan originaire de Gladewater, connaît bien son affaire. Quinze ans après son chef d’œuvre les Marécages, il plante à nouveau le décor dans le grand Sud américain. La Sabine est la colonne vertébrale de ce roman. Le corps de May Linn y repose. Eaux noires et profondes comme l'enfer et souvent tumultueuses, elles donnent du fil à retordre au radeau. Mais elle reste surtout la seule voie pour fuir, pour ses gamins partir vers une vie meilleure. Eaux sacrées du baptême aussi pour le révérend rencontré au bord du fleuve. Fleuve aux eaux noires salvatrices, nourricières, impitoyables et protectrices parfois, la Sabine ne sera pas pire que la cruauté des hommes.

Ambiance à la Steinbeck. Landsdale s'attache à décrire le sort des petites gens et les douleurs de leur vie. Le roman se déroule pendant la Grande Dépression des années 30. Le krach de 1929 a laissé des traces : récession économique, appauvrissement de la société, ségrégation raciale. Les gamins crèvent de faim, chacun essaie de sauver sa peau, les flics véreux ne font plus la loi, les Noirs sont de vulgaires négros qui doivent rester à leur place... Les fuyards feront une sordide rencontre au bord au fleuve, comme une sorcière sortie de la noirceur des bois. Une vieille femme acariâtre habite dans une bicoque au bord de la Sabine, fille de de cotonniers esclavagistes et ruinés, encore marquée par des vieilles rancœurs de la guerre de Sécession. Sacrée personnage emblématique du Deep South des années trente !

Roman sur l'enfance (Tom Sawyer, Huckleberry Finn les revoilà...), l'adolescence et l'émancipation évidemment. Soudés par une amitié inébranlable, Sue Ellen, Terry et Jinx cherchent tous à fuir leur crasses et leur vie de misère. Marre de se faire tripoter par un père alcolo, de vivre comme des loques ou des larbins, de se faire traiter de négresse ou de pédé, ils ont décidé de choisir leur destin et de ne plus subir. 

Pas vraiment un roman policier, comme souvent dans la collection Sueurs froides que j'apprécie tout particulièrement, les Enfants de l'eau noire serait plutôt le remake angoissant de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. Ce qui en fait inévitablement un bon roman !

Les Enfants de l'eau noire de Joe R. Lansdale traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc, Denoël 2015



dimanche 7 février 2016

Les Fugueurs de Glasgow

Comme tout bon polar, le roman commence par le meurtre d'un homme en 2015. Simon Flet recherché depuis cinquante ans par la police britannique et qui avait trouvé refuge en France. De son assassin on ne sait rien et ce n'est pas une enquête policière qui conduira à la révélation finale. 

A Glasgow, Maurie, vieil homme piégé au fond d'un hôpital par une saloperie de cancer, lui connaît la vérité et il veut régler quelques comptes avant de casser sa pipe. Alors pour ça il fugue, comme cinquante ans plus tôt avec ses vieux copains Dave et Jack et son petit-fils Ricky au volant. Direction the Big Smoke, comme en 1965. Bien décidés à faire le périple à l'identique.

Ils étaient alors cinq garçons de 17 ans à foutre le camp d’Écosse, pour fuir une adolescente terne et miséreuse, à la conquête de Londres, de ses studios de musique, impatients de vivre de leur musique, de se mêler à l’excitation collective de Londres des Sixties. Évidemment, rien ne se passe comme prévu. Contraints de s'arrêter à Leeds, il récupère Rachel la cousine de Maurie, et dans la capitale, ils échouent chez le Docteur Robert, expert en hallucinogènes. Sans en croire leurs yeux ni leurs oreilles, leur chemin croise celui des Beatles, Dylan, Lennon, ils entrent dans les studios mythiques londoniens et goûtent à tous les interdits. Mais le petit groupe de musiciens s'englue et ne perce pas. Leur amitié est mise à mal, même la belle histoire d'amour entre Jack et Rachel s’effondre. Un soir, une tragédie scellera à jamais le sort du petit groupe. 

En 2015, la fugue des trois vieillards claudicants n'est guère plus reluisante et à peine plus sage, mais assez cocasse ! (un peu comme les vieux de la vieille qui se carapatent de l''hospice), sous le regard incrédule et parfois amusé de Ricky, obèse, geek et mal dégrossi. Leur escapade resserre les liens entre ces deux générations qui ne se comprennent pas, prétexte aussi à une belle rencontre entre un grand-père et son petit-fils. Avec beaucoup de nostalgie, la fine équipe rassemble ses souvenirs au fil du voyage. Le pays a changé, chacun a suivi son chemin mais leur amitié est intacte. Leur périple prendra fin là où elle a commencé cinquante ans plus tôt, levant le voile sur les événements de 1965.

Peter May est très attachée à son Écosse natale. Il prend un soin tout particulier à évoquer cette jeunesse écossaise éblouie par la capitale britannique, assourdie par la déferlante du rock. Avec justesse sans aucun doute, car il s'inspire de sa propre fugue.

Les Fugueurs de Glasgow est un roman noir et sombre sur fond d'une Angleterre déprimée et à l'agonie. Mais ce décor laisse place à une amitié inébranlable et une histoire pleine d'humanité. Un road-trip qui réchauffe le cœur, une folle aventure humaine, bercé par les Beatles.


Les Fugueurs de Glasgow de Peter May, traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue, Éditions du Rouergue, 2015.




dimanche 24 janvier 2016

Lauren Beukes, à prendre ou à laisser


Lauren Beukes est une écrivain sud-africaine de polar bien particulière. J'ai présenté récemment Les Lumineuses, premier roman policier sorti en 2013 qui suivait deux romans du genre fantastique. Je me demandais ce que me réserverait  Les Monstres en 2015.
Je n'ai pas été surprise car, une nouvelle fois, Lauren Beukes a écrit un polar avec un dénouement audacieux et osé qui a de quoi surprendre ceux qui ne la connaissent pas encore. On aime ou on déteste ! 

En quelques mots, voici ce qu'il faut savoir de l'intrigue : L'inspectrice Gabriella Versado travaille à Detroit, aux Homicides. Elle ne s'était jamais trouvée face à une telle monstruosité : un jeune garçon mutilé, le haut de son corps mêlé aux membres inférieurs d'un cerf. Gabi se lance alors à la recherche du macabre sculpteur. Pendant ce temps, sa fille, Layla, qu'elle délaisse trop souvent, se met en tête de débusquer des pervers sur Internet avec sa meilleure copine de lycée Cas. Sa mère ne se doute pas un instant que l'adolescente est à deux doigts de tomber entre les mains d'un psychopathe.

Ça sent le bon thriller évidemment, mais pas que. Lauren Beukes ne se contente pas de nous embarquer avec talent dans cette enquête, elle nous entraîne dans une vraie descente aux enfers.
Les médias, les réseaux sociaux, l'art dégoulinent de monstruosités. Lauren Beukes découpe au scalpel une société occidentale pourrie, où les monstres ne sont pas toujours ceux qu'on croit. Ou, tout du moins, ceux qui affichent leurs horreurs à la face du monde le font de bien des façons (meurtres, agressions, mépris, violences sur internet).

Autre surprise, Lauren Beukes d'origine sud-africaine a posé le décor du roman aux Etats-Unis. Les descriptions de Detroit rappellent celles de la ville de Boston écrites par le talentueux Dennis Lehane, avec ses quartiers délabrés qui vomissent toute la misère humaine. 
Quoiqu'en disent certains, je trouve que les personnages ont de l'épaisseur : les deux ados ne sont pas que des boutonneuses décérébrées, le SDF, l'accroc aux  réseaux sociaux, chacun laisse au fil des pages transparaître ses failles et sa volonté de changer sa destinée. Une destinée qui les conduit tous à ces dernières pages du roman,  au dénouement incroyable de Lauren Beukes. 

A prendre ou a laisser. Moi je prends, j'aime le surprises !

Les Monstres de Lauren Beukes,
traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Laurent Philibert-Caillat, Presses de la Cité, 2015 

jeudi 14 janvier 2016

Le mystère de l'ours brun des Abruzzes tué comme un chef de clan dans les quartiers espagnols de Naples

En 2015, les éditions Liana Lévi nous ont réservé une belle surprise. Parution discrète, auteur inconnu mais avec un titre pareil difficile de ne pas succomber !

Direction Naples. Tony Perduto, la trentaine, est un journaliste "à la petite semaine", contraint de donner des cours au fils du boucher et alimenter des rubriques jardinage pour boucler ses fins de mois. Pourtant, il rêve du scoop, mais il a dû se contenter de la rubrique faits divers (invasion de cafards dans les bassi napolitains, la loterie, les chiens disparus, et j'en passe...) du journal local. Jusqu'à ce matin où, au hasard de ces balades matutinales, dans les quartiers espagnols, il tombe nez à nez avec un ours ! Raide mort au beau milieu de la rue ! 
Enfin il la tient sa une ! Il en est convaincu et il ne lâchera pas le morceau...  Il enquête et commence à mettre son nez là où il ne devrait pas... A Naples, il vaut mieux se mêler de ses affaires et se tenir à l'écart de la camorra.

Avec ce court roman, Antonio Menna nous offre une belle visite de Naples, ponctuée de rencontres piquantes et drôles avec le petit peuple, et il décrit sa ville avec beaucoup de tendresse. L'enquête de Tony Perduto nous emmène dans une Naples souterraine et plus sombre, celle notamment des nantis et du "Parrain" local, la ville du boss, le chef de clan mafieux.

Le récit est plein d'humour, les relations entre Perduto et sa mère envahissante ne manquent pas de piment ! Il en va de même des tentatives illusoires de Tony pour repousser la belle Marinella.
Délicieusement italien tout ça ! J'adore !
 
Franchement pourquoi bouder ce plaisir ? Le roman peut vous paraître léger mais il n'en est rien. Cette enquête est drôle et touchante et l'histoire de cet ours est profondément triste. Et la visite de Naples en vaut le détour. Alors avanti !

L'étrange histoire de l'ours brun abattu dans les quartiers espagnols de Naples de Antonio Menna, traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Liana Lévi, 2015
Titre original : Il misterio del orso marsico ucciso come un boss ai quartieri spagnoli, Le mystère de l'ours marsicain tué comme un boss dans les quartiers espagnols