samedi 18 juin 2016

Polar d'Afrique :Janis Otisemi




J'entreprends un tour d'Afrique, une envie qui me titille depuis une conférence à Quais du Polar à Lyon cette année. Autour de la table intitulée "Le monde qui vient passe par l'Afrique"*, une alléchante brochette d'écrivains de polars venus du continent africain : Leye Adenle (Nigéria)  -voir ma récente chronique sur Lagos lady- , Kangni Alem (Togo), Michèle Rowe (Afrique du Sud) -voir ma récente chronique sur Les enfants du Cap- Ahmed Tiab (France, né à Oran) et Janis Otsiemi du Gabon. "Une littérature des multiplicités et des diversités d'Afrique " avec pour chacun de ces auteurs une vision du monde différente, propre à la culture qu'il a reçue. Il y a beaucoup d'Afrique en un seul mot. 

J'explore l'Afrique sous toutes ses formes, et justement un arrêt à Libreville en vaut le détour.

A un an des élections, le corps d'un journaliste d’investigation est retrouvé sur la plage. A qui profite le crime ? Selon toute vraisemblance, Roger Missang est victime d'un règlement de compte politique. Le président de la République est candidat à sa propre succession. Alors, on a voulu se débarrasser d'un fouineur, qui n'hésitait pas à critiquer le parti au pouvoir dans les colonnes de l'hebdo indépendant "les Echos du sud". Mais en Afrique, les apparences sont parfois trompeuses... Au poste de la Police judiciaire de Libreville, d'autres affaires gravitent autour de ce meurtre. Prostitution de mineurs  sur internet, chéquier ministériel volé, les sales affaires ne manquent pas.


Comme souvent dans les polars qui plantent le décor sur le contient noir, on retrouve tous les travers de l'Afrique : corruption à coups de pétrodollars, injustice sociale et politique, immunité de certains Blancs haut - ou bien - placés, liberté de la presse, pauvreté et ghettoïsation, et une société africaine tiraillée entre modernisme et  traditions. Sans aucun doute la réalité politique et sociale.


Janis Otisemi  raconte la réalité de son pays, celle qui se cache derrière la carte postale pour touristes.
Il a "cette volonté de décrire une part d'humanité qui dépasse celle du continent africain" en portant la parole de ce (petit) peuple qu'il connait si bien. Lui aussi est un gamin des bidonvilles, fils d’ouvrier dans le bâtiment et d’une marchande de manioc. Il se plait à user de ce ton corrosif avec lequel il frappe fort. Sans tâtonnement. Il joue parfois avec le feu. Quelques contorsions stylistiques sont des astuces pour dissimuler les choses. La liberté de ton a ses limites au Gabon. Menaces et représailles envers la famille sont  une épée de Damoclès à sa liberté de parole.
Le polar manque un peu de rythme, (et parfois j'ai parfois frôlé l'ennui....) jusqu'au moment où Otisemi nous réveille avec une expression piquante et drôle : rebeloter (répéter), le boussolier (le guide), le téléphone grelotte (il vibre), tourner le cerveau (réfléchir), se serrer l'os (la main), avoir un long crayon (avoir fait de longues études universitaires). Des dialogues aux expressions très imagées que Otsiemi emprunte à la langue française avec laquelle il joue comme un sale gamin ! "Ecrire est toujours une réflexion sur la langue" et il apprécie particulièrement de "jargonner le français, le triturer, se l’approprier, d'où la nécessité des notes en bas de page", un peu comme les Québecois.

Si on est tenté de dire qu'il s'agit d'une langue exotique, lui répond : "Ca n'a rien d'exotique, c'est celle que je parle tous les jours au quartier. J'écris le français avec lequel nous vivons. C'est une langue qui m'habite et j'habite cette langue".
Janis Otsiemi est aujourd'hui un des rares auteurs d'Afrique reconnu et primé dans son pays et à l’étranger. Un écrivain qui monte, pour preuve ce papier élogieux dans Libération à l'occasion de son passage à Lyon. 

Petit regret : Pourquoi Jigal persiste à éditer des polars aux couvertures aussi peu attrayantes... ? Par chance, African tabloïd vient d'être publié chez Pocket.


African Tabloïd de Janis Otsiemi , Jigal Polar 2015




*Ecouter ou ré-écouter les rencontres et conférences Quais du Polar 2016 gratuitement en replay !
Rendez-vous sur le site www.live.quaisdupolar.com, une solution dévelopée par Le Sondier.

samedi 11 juin 2016

Moussa Konaté et L'affaire des coupeurs de têtes


Dernier roman de Moussa Konaté, quelques mois avant sa mort en 2013.  Il y décrit avec tendresse et ironie le village où il a passé une partie de son enfance. Le coupeur de têtes officie à Kita, au Mali. Ses victimes sont des mendiants. Le commissaire Dembélé secondé de Sy sont chargés de l'affaire, rapidement rejoints par le commissaire Habib et son adjoint Sosso venus de la ville pour leur prêter main forte. En effet, l'affaire est corsée : les têtes tombent les unes après les autres, un Esprit vêtu de rouge et armé d'un coupe-coupe hante le village et sème la terreur à la nuit tombée, un mécréant en fait les frais, Sosso est victime d'une tentative de meurtre, une taupe se planque au commissariat et le fou Ngaba traine ostensiblement sur les scènes de crimes..
Ce polar vous assure un dépaysement total !
On est bien loin des méthodes d'investigation américaines ! Même si les intérêts en jeu sont tout aussi vénaux que chez l'oncle Sam... "La scientifique" n'est pas la préoccupation première des enquêteurs. Plutôt du genre bonnes vieilles méthodes : observer et écouter... Au final, l'enquête se boucle façon "Whodunit" et Agatha Christie, dans un salon où sont rassemblés les autorités et les principaux protagonistes.
Toute l’histoire se concentre sur l'histoire du village et de ses habitants et sur leur tiraillement entre croyances ancestrales, sorcellerie et modernité. Pas facile pour certains de se défaire de ces dogmes, les plus jeunes franchissent le cap séduits par plus de modernité, les plus malins les utilisent pour multiplier supercheries et manipulations et se faire la meilleure place au soleil. 
La place de la religion, notamment l'islam, est, elle, aussi essentielle. Le roman nous plonge complétement dans les traditions et la société malienne.
La cohabitation au sein du village entre ethnies Malinkés, Bambaras et Peuls donnent lieu à des conversation ponctuées d'expressions croustillantes, "à l'africaine" ! On sent alors tout l'attachement de l'auteur pour son pays.
En quelques mots, une belle découverte du Mali avec Moussa Konaté. Une écriture simpliste et parfois maladroite (l'éditeur précise que le décès soudain de l'auteur n'a pas permis de réécriture de certains passages) qui ne doit dispenser de ce roman très plaisant et des autres titres du même auteur.

L'Affaire des coupeurs de têtes de Moussa Konaté, Métailié, 2015