samedi 3 octobre 2015

Les Lumineuses


Voici une curieuse découverte ! Les lumineuses de Lauren Beukes se situe à mi-chemin entre polar et roman SF. Choix audacieux de la part de Lauren Beukes qui a dèjà démontré son talent d'écrivain de l'imaginaire (Zoo City en 2011, largement récompensé et Moxyland ). Cette fois-ci, elle réussit le pari de coller une enquête policière à ce voyage fantastique à travers le temps. De 1929 à 1993, elle nous entraîne dans les pas de Harper, tueur en série qui repère ses jeunes proies, celles qui brillent intensément (des Shinning girls),  guidé par l'âme d'une maison mystérieuse. Un fois repérées, Harper revient les assassiner des années plus tard en franchissant le seuil de la maison, la porte s'ouvre alors sur une autre année. Ce sursis est complètement glauque et tout le roman repose sur la traque, celle de Harper à la poursuite de ses victimes devenues adultes, et celle du psychopathe par Kirby, une de ses victimes qui lui a échappé. Kirby cherche à comprendre des indices aberrants et anachroniques qu'elle découvre au fil de son enquête, car Harper laisse à chacune de ses victimes un objet lié à une période qui n'est pas la sienne.

Ce soir-là, il lui a expliqué qu'elle brillait d'un éclat plus vif que les fusées qui explosaient dans le ciel et se reflétaient dans les façades vitrées des tours. Elle brillait si fort qu'il l'avait repérée de très loin... Pour cette raison, il allait la tuer. Pas tout de suite, plus tard. Quand elle serait grande.

Lauren Beukes s'en sort bien de son récit déstructuré, les détours temporels et les rencontres successives des victimes s'articulent plutôt bien. Elle le fait avec beaucoup de maîtrise, ce qui m'a permis de circuler sans trop de peine entre les époques. Pourtant l'enchaînement des chapitres peut paraître parfois  un peu déroutant pour le lecteur. Moi, cette forme de récit particulière m'a beaucoup plu.
 
Au fil du roman, on comprend que Lauren Beukes (d'origine sud-africaine) s'est beaucoup documentée sur la ville de Chicago au XXe siècle sur les mœurs et les objets emblématiques des décennies passées. De belles descriptions de la ville qui donnent une ambiance parfois très sombre et lugubre au roman.
Et un des points forts des Lumineuses, c'est son propos féministe. En témoigne la galerie de portraits de femmes. Zora, Willie, Alice, Misha, Margo, Catherine, Kirby, elle vivent toutes à des époques différentes et sont toutes très charismatiques : une jeune veuve noire qui travaille à l'usine pour faire vivre ses quatre enfants suite à la mort de son mari au combat en 1943, une avorteuse qui aide les femmes à ne pas tomber entre les mains d'un boucher dans les années 70,  une hermaphrodite en 1940 et une jeune femme qui deviendra scientifique dans un milieu  très masculin.

Chapeau pour son final aussi ! Une fin ouverte comme je les aime !

Sans conteste, c'est une belle surprise de lecture. Lauren Beukes a fait preuve de beaucoup d'audace pour ce thriller SF. Idée lumineuse, non ? 

Les Lumineuses de Lauren Beukes, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Nathalie Serval, Presses de la Cité, 2013

dimanche 16 août 2015

Yeruldelgger is back

Yeruldelgger le retour ! Et ça fait plaisir ! Je ne cache pas que je l'attendais.
Patrick Manoukian (alias Ian Manook) se trouvait face à un sacré défi : donner une suite aux enquêtes du flic mongol, après le succès de Yeruldelgger en 2014.
On retrouve d'ailleurs les personnages du premier opus. Notamment Colette la prostituée, découverte assassinée alors qu'elle avait rendez-vous avec Yeruldelgger. Afin d'échapper au complot dont il est la cible, le flic conduit lui-même l'enquête et tente de retrouver le gamin qu'elle avait adopté. Ses recherches le conduisent à nouveau sur les traces de Gantulga et il remonte la piste d'un sale trafic de gosses conduit comme du bétail en Europe par les réseaux de contrebande de Mongolie et de Russie. Pendant ce temps, ses coéquipiers cherchent à élucider deux morts très étranges. Oyun démêle les fils d'une affaire de yack tombé du ciel... Une situation cocasse de prime abord mais qui mettra en cause des militaires mongoles. Un terrain miné pour la jeune femme ! Sara, la fille de Yeruldelgger, refait surface aussi, rappelant à son père des blessures tout juste refermées.

Ça pue toujours autant en Mongolie, carrefour stratégique entre la Russie et la Chine. Terre de convoitises géopoliticiennes et de trafics en tout genre, qui ont des ramifications jusqu'en Europe et au Havre en France. Des flics y traquent aussi ces réseaux très protégés et fourrent leur nez dans des affaires qui déclenchent aussi la curiosité d'un journaliste. Ian Manook aime franchir les frontières dans ce roman.
Mais Ian Manook ne se contente pas de dévoiler les manigances politiciennes ou les trafics mafieux, il décrit les effets dévastateurs du nucléaire sur l'environnement en Russie. Il revient également encore sur la fin du nomadisme et il nous embarque dans les steppes mongoles.
Ouf ! Comme un îlot de bonheur à préserver, on retrouve Solongo et on respire à nouveau les parfums de sa yourte et, au fil du récit, ceux de bons plats traditionnels mongols - toujours aussi surprenants car après les marmottes en 2014, on sert cette fois-ci de la tête de chèvre bouillie.

Yeruldelgger ne serait plus aussi attachant sans une bonne dose de mysticisme. Le flic qui semble pencher du "côté obscure" dévoile parfois beaucoup de cruauté. Mais les moines du septième Monastère veillent sur lui comme une bonne fée. Et les loups le protègent contre le Mal. Certains passages sur le chamanisme sont envoûtants.

Dépaysement total, détours gastronomiques par la Mongolie, (et la Normandie !), dialogues pleins d'humour (Ian Manook aime Les Tontons flingueurs à coup sûr...), intrigues prenantes et  personnages crédibles, attachants ou horripilants, mais qui ne laissent jamais indifférents, voilà la recette Yeruldelgger.
Alors oui, forcément, je serais déçue de ne pas retrouver prochainement  le flic mongol !

 Les temps sauvages, Yeruldelgger, de Ian Manook, éditions Albin Michel, 2015





jeudi 6 août 2015

Dust, poussière tu deviendras....


Cap sur l'Afrique. Où il est question des persécutions subies par les Albinos au Kenya et sur des croyances ancestrales ancrées sur le continent africain. Et de l'argent sale qui en découle....

En résumé : 2010. Dans un terrain vague de Nairobi, un gamin à vélo s’amuse à rouler dans une grande flaque sur le sable ocre. Du sang humain, répandu en forme de croix. Sans le savoir, le garçon vient de détruire une scène de crime, la première d’une longue série.
2012, à Nairobi. Une femme albinos est décapitée à la machette en pleine rue. Le tueur a emporté la tête, un bras aussi. Elle a été massacrée, comme beaucoup de ses semblables, parce que ses organes et son corps valent une vraie fortune sur le marché des talismans.
Appelée en renfort par le chef de la police kenyane, Hanah Baxter, profileuse de renom, va s’emparer des deux enquêtes.
Hanah connaît bien le Kenya, ce pays où l’envers du décor est violent, brûlant, déchiré entre ultramodernité et superstitions.
Mais elle ne s’attend pas à ce qu’elle va découvrir ici. Les croix de sang et les massacres d’albinos vont l’emmener très loin dans les profondeurs du mal.

Voilà, le résumé a l'odeur alléchante du bon thriller,  mais en fait j'ai été affreusement déçue !
Vraiment le sujet m'emballait, passionnant car peu médiatisé en France. Effroyable et révoltant. 

Dans de nombreux pays d’Afrique, dont le Kenya, l’albinos est considéré comme un être aux pouvoirs surnaturels ou, parfois, comme une créature maléfique. Les sorciers diffusaient ces croyances auprès de la population en promettant longue vie, richesse et pouvoir à qui consommerait des poudres et des substrats obtenus à partir des membres, des organes ou des cheveux d’albinos, qui se vendaient à prix d’or. Face à ce marché juteux, la chasse aux albinos se répandit en Afrique avant les années 2000, prenant au fil du temps un essor inquiétant.

Le sujet ne laisse pas indifférent, il vous saisit aux tripes même. Encore aujourd'hui, ce commerce très lucratif pousse de nombreux gamins à commettre des actes de violence d'une dureté invraisemblable, pour assurer leur survie et tenter de sortir frères et soeurs de la misère. Pour une poignée d'euros au profit de gros nababs, qui se gavent de profits nauséabonds.

Mais le style et l'écriture m'ont en contre partie complètement irisés le poil ! L'enquêtrice est bardée de clichés de bonnes séries télé : lesbienne, bouddhiste, new-yorkaise, mystique, médium, profileuse, un peu de coke avant d'aller se coucher. Un "personnage complexe" raté, un peu lourd à mettre en scène tout au long du récit. Alors il en perd rapidement de sa crédibilité. 
Le personnage de Darko Unger ne m'a pas plus convaincue, le double jeu du traître semble évident dès son apparition. On peut deviner rapidement également qui est le semeur  des croix de sang. 
Et quelques scènes dégoulinantes de guimauve.

Autre désagrément, l'écriture est parfois précipitée. Par exemple, Sonja Delzongle se débarrasse en quelques lignes de son serial killer ! Paf ! Un coup de frein et il quitte la scène. Sans parler du revirement de situation entre Hannah Baxter et l'inspecteur mexicain Mendoza (qui forcement en a bavé dans sa vie d'avant ! des anecdotes inutiles, qui n'apportent rien au récit ), ces deux-là, sont comme chien et chat dès le début du roman. Puis en deux paragraphes, le gros dur mexicain s'assouplit et Mendoza et Hannah deviennent les meilleurs amis du monde....
Beaucoup de surenchère aussi dans la succession des événements... L'assaut finale m'a laissé de marbre.
Stop n'en jetez plus ! Pourtant Sonja Delzongle avait une pépite avec ce sujet. Mais le résultat n'est pas à la hauteur. Dommage.

Dust de Sonja Delzongle aux éditions Denoël, Sueurs froides, 2015



vendredi 26 juin 2015

Un homme d'honneur

Missing New York marque l'arrivée d'un nouveau détective dans l'univers du polar. Frank Decker.

Sergent de police à Lincoln, dans le Nebraska, il enquête sur la disparition de Hailey, une petite fille de cinq ans. Les premières heures sont déterminantes, Franck Decker le sait alors il déploie toutes ses forces et celles de son équipe pour la retrouver. Mais rien. Pire, une autre gamine est kidnappée le lendemain et on la retrouve assassinée. Alors comme une affaire chasse l'autre, les flics stoppent  l'enquête. Il faut dire que la gamine n'a pas le profil  de la parfaite petite Américaine : Hailey est métisse, sa mère Chéryl est une fille mère d'une vingtaine d'années, flanquée d'un casier  judiciaire déjà noirci par quelques erreurs de jeunesse (alcoolisme, drogue), le père a tourné les talons dès qu'il l'a vue brandir le test de grossesse. Mais aujourd'hui Chéryl est "clean" et elle est très lucide. Hailey a disparu et personne ne la cherchera plus. Pourtant un flic lui a fait la promesse de la retrouver, Franck Decker,. Alors Decker plaque tout :  son boulot, la promesse d'une mutation et d'une belle retraite et surtout sa femme. Le couple bat de l'aile. Alors il part sans remords. Il sillonne tout l'état, et au-delà, incapable de lâcher l'affaire.
Son enquête le fera croiser les caids de la Mafia new yorkaise. Entre leur chef et lui s'instaure alors un respect mutuel et retrouver cette gamine devient une question d'honneur
Deux visions de l'Amérique s'opposent également dans ce roman : côté pile, la simplicité des petites gens du Nebraska, côté face la société Bling bling de New York mêlés aux réseaux de prostitution. Un peu cliché mais captivant malgré tout.

Evidemment, Don Winslow est une valeur sure du roman policier américain, alors pourquoi bouder ce plaisir ? Il y aura une suite, la 4e de couverture le laisse entendre, une "première enquête" qui donne envie de poursuivre cette intrusion dans une Amérique en décrépitude.

Missing New York, de Don Winslow, traduit de l'américain par Philippe Loubat-Delranc, Seuil policiers 2015


Blancs vs Noirs


Je viens de terminer la lecture de Pièges et sacrifices de Roger Smith. Un auteur sud-africain de plus à mon compteur. Ce polar fraîchement publié par Calmann-Lévy était l'occasion de s'y intéresser. Et je ne l'ai pas regretté, même si je garde quelques réserves.

Sacrifices est le titre original. Et ce mot suffit presque à résumer l'histoire.
Mikael et Beverley Lane vivent en compagnie de leur fils Chris dans une belle propriété des Newlands, une banlieue blanche et huppée du Cap. Au fond du jardin, ils hébergent leur bonne Denise Solomons et sa fille Louise. Le fils Lyndall, banni du foyer, est un toxico accroc au tik et converti depuis peu à l'islam. Un paumé de plus qui tombe à pic ce soir-là dans la propriété des Lane. Chris, abruti gonflé aux stéroïdes, vient d'assassiner une jeune fille et c'est Lyndall qui portera le chapeau. Pas question pour sa mère qu'il croupisse en tôle. L'affaire est pliée et liquidée par un mensonge de Blancs respectables. Lyndall crève en prison et Chris poursuit sa carrière de rugbyman.

Qui oserait remettre en cause leur témoignage ? Mais la culpabilité et le poids des mensonges, certains enfouis depuis longtemps, vont ronger Mike. Difficile de masquer la vérité à Louise avec qui il s'est parfois comporté comme un père. Difficile de manipuler la sœur de Lyndall qui comprend vite que son frère paiera le prix fort  pour protéger leur unique rejeton. Lyndall sera le premier sacrifice dans cette sale affaire. Au fil des pages, saison après saison, Louise s'acharne à rétablir la justice, à sa façon, celle que lui enseigne son père.
"Rappelle-toi, il y a une loi pour eux, les Blancs, et  une autre pour nous. " Alors ils doivent payer. D'une façon ou d'une autre. De sa main ou de celle du Destin, d'autres sacrifices suivront.

Desseins machiavéliques de la jeune femme bien décidée à faire payer le prix fort à Mike qui l'a repoussée quand elle était enfant et qui bafoue aujourd'hui son droit à la vérité. Une relation complexe les unit. Mais Mike, manipulé par sa femme Bev et son fils, est incapable de réagir.  Pourtant elle le poursuit, " elle a besoin de le voir, de voir la preuve de la souffrance qu'elle lui a causée."

Les points faibles de ce roman ? Sans doute des personnages parfois un peu trop stéréotypés - Bev, Tracy, la prostituée junkie et Achmat Bruinders -  mais Smith évite tout manichéisme. Noirs et Blancs s'alignent dans ce déferlement de violence et de médiocrité.  
Si on a également parfois le sentiment que le roman s'égare avec des personnages sans cohérence : la vieille voisine juive et son vieux chien Harpo, la pute qui fait chanter Mike, il finit par trouver sa voie et conduit vers un dénouement diabolique.

Ces aspects sont contrebalancés par une vraie force dans les descriptions de lieux et d'atmosphères rugueuses et tendues comme celle du township de Cape Flats ou celle de Long Street la rue cosmopolite du Cap. Sans parler des banlieues chics et verdoyantes où vivent des Blancs repliés derrière les "Electric fences " et les hauts murs de leur propriété nichées en contrebas de la Mountain Table. 
J'ai visité ce fabuleux pays tout récemment et j'ai retrouvé l'ambiance électrique de ces lieux. 

En tout cas, il est clair que la nation" arc en ciel " n'a pas accompli toutes ses promesses. Les "free born" les enfants nés après l'abolition de l'apartheid en 1994, espèrent et attendent beaucoup plus de ce pays, notamment d'en finir avec la justice à deux vitesses et avec la ségrégation sociale.

Convaincue  par ce roman, je ne manquerai pas de lire à nouveau les polars de Roger Smith.

Pièges et sacrifices, de Roger Smith, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Elsa Maggion, Calmann-lévy, 2015






jeudi 14 mai 2015

Quelqu'un à tuer


"Quelqu'un à tuer" pour sauver deux vies imbibées de noirceur. Deux vies de mecs, celles de Arthur et Ignacio qui ne manquent pas de types à zigouiller, à commencer par eux-même, qui sait. Et pour cause ....
2014. Arthur est un mec paumé qui picole et qui glande. Pour enfoncer le clou, sa belle Suédoise vient de le laisser tomber, lassée de ce musicien raté sans ambition. Pourtant, elle l'avait aidé à enregistrer son premier album, elle y croyait, lui aussi un peu. Au final, leur couple se fracasse et Arthur se transforme en loque humaine. Pas question de trouver refuge chez sa mère, une communiste endurcie, qui ne lui a témoigné ni tendresse ni amour depuis son enfance. Elle le tient sans doute pour responsable du départ précipité de son père, un matin en douce alors que le gamin n'avait que deux ans. Il ne l'a jamais connu, alors qu'il aille le trouver maintenant. En Andalousie, un type, Ignacio Obregon, héros de la guerre d'Espagne, lui dira où le trouver. Il est temps de régler ses comptes avec son père.
1936. La guerre d'Espagne happe la vie d'Ignacio, une vingtaine d'années,  mineur comme son père dans un village minier d'Asturies, et communiste comme ces ouvriers, les gens du peuple. Avec son frère il est contraint de fuir son village, il laisse derrière lui sa mère et ses sœurs, et Candela celle qu'il a aimée. Ignacio s'engage sans concession dans le guerre civile. Sa lutte contre le franquisme sera impitoyable et ses actes de guerre, ses exactions en série,  lui vaudront à jamais respect et crainte.
Au bout de ce parcours chaotique, les deux hommes vont se rencontrer. Ils ont mené une vie exempte
d'amour car il leur a toujours filé entre les doigts. A cause de ceux qui les en ont privé : père et mère, oppresseurs du peuple, militaires, Franco et autres petits cons de passage. Les responsables ne manquent pas, alors Ignacio et Arthur ont tout plaqué pour partir à la recherche de "quelqu'un à tuer". Ils foncent, effrayés par leur propre image de salaud et de raté. Pourtant, leur quête ne se termine pas comme ils l'imaginent car en chemin ils font de belles rencontres qui les changeront à jamais et inconsciemment leur feront revoir leur jugement. Tout ne semble plus foutu.

Olivier Martinelli a écrit un roman noir. Un vrai avec pour décor la guerre d'Espagne (bien documentée d'ailleurs grâce à Michel del Castillo) marquée par la cruauté qu'elle engendre et les hommes qu'elle broie. J'ai été impressionnée par le personnage d'Ignacio, enragé et destructeur. Pourtant on sent que cette rage vacille, grâce à son petit frère et cet instituteur et sa femme que la guerre met sur son chemin. Au final, il s'agit bien d'un roman d'amour aussi, qu'il soit maternel, fraternel ou conjugal. Ces deux hommes sont également à la recherche de quelqu'un à aimer... J'ai apprécié ce road trip vers l'Andalousie et au bout de la route cette rencontre touchante et cinglante à la fois .

Olivier Martinelli aime la musique aussi, ça on le savait depuis la publication de ses derniers romans Une légende et La nuit ne dure pas. Il propose d'ailleurs des lectures accompagnées d'accords flamenco. Belle idée ! Je suis impatiente de les entendre. En attendant, lisez Martinelli !

Quelqu'un à tuer de Olivier Martinelli, la Manufacture de livres, 2015

mercredi 29 avril 2015

Robe de marié, un coup de maître

Avant d'obtenir le prix Goncourt en 2013 avec Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre s'est fait remarquer en publiant des romans policiers. Parmi ces sept polars, j'ai découvert tout récemment  Robe de marié.

Sophie Duguet est folle. Elle en est convaincue. Folle à lier, et meurtrière. Elle sème les cadavres dans son sillage, mais ne se souvient de rien. Ni comment elle a tué ce gamin qu'elle gardait, et cette femme qui lui portait secours, ni cet abject gérant de fastfood. Ni  pour quelles raisons elle finit par les assassiner. 
Au départ, Sophie, la trentaine, a une vie bien rangée avec un mari qu'elle aime, puis elle commence à oublier des petites choses de son quotidien, les clefs de la voiture retrouvées au mauvais endroit, le cadeau d'anniversaire bien caché et au final introuvable dans l'appartement, des dossiers du boulot égarés, etc. Discrètement, elle note pourtant sur un petit carnet ces petits détails mais rien n'y fait, elle les perd aussi ... Ensuite tout bascule  le jour de ce terrible accident de la route qui cloue son mari pour le reste de ces jours dans un fauteuil roulant, comme un légume. Depuis c'est l'engrenage des malheurs qui petit à petit lui détruisent sa vie. Et elle oublie tout. Et le pire reste à venir. Sophie Duguet se débarrasse de ceux qui l'approchent, elle est folle, je vous le répète... Mais encore assez lucide pour organiser sa fuite, une longue cavale avec le soutien de son père, changer d'identité et refaire sa vie, une toute autre vie avec Franck, qui pourrait bien devenir son bourreau, vêtu de cette énigmatique robe de marié (au masculin notez-le bien...) jaunie.

Robe de marié est un fabuleux roman sur la folie, destructrice et sans issue. De celle qui saisisse et guide vers toutes les horreurs, avec des moments de lucidité qui laissent abasourdi. Sophie Duguet se voit tomber dans ce gouffre, impuissante. Le lecteur est le témoin de sa déchéance, puis de la reprise en main de sa vie, une fois la vérité mise à jour.
Même si on comprend assez vite ce qui se passe dans la vie de Sophie et que l'on pressent l'issue de cette histoire glaçante, Lemaitre a vraiment construit un excellent thriller psychologique. Mais c'est aussi  un roman sur la perversité. On se demande où Lemaitre est allé chercher tout ça ... Du côté de chez Hitchcock probablement.

Robe de marié de Pierre Lemaitre, Calmann-Lévy, 2009

jeudi 23 avril 2015

Grossir le ciel de Franck Bouysse


Quelle belle et grosse surprise !
La Manufacture de livres propose un polar d'un auteur qui fait parler de lui avec ce huis clos campagnard parfaitement exécuté !

Franck Bouysse plante le décor de son roman aux Doges dans les Cévennes en pleine campagne, mais pas la plus bucolique avec les marguerites et les vaches rousses made in Normandie, ou celle de Carine Lemarchand, non la campagne profonde qui n'intéresse personne, celle des chemins creux qui crottent les souliers et qui ne mènent nulle part. La campagne qui sent la mort et l'ennui. C'est là que vit Gustave Targot, dit Gus, avec pour seule compagnie son chien Mars. Il habite une ferme pas très éloignée de celle de Abel, un voisin qu'il fréquente à l'occasion pour un gorgeon de vin bourru ou un coup de main pour les récoltes ou le bétail. Deux vieux taiseux cévenols que des évènements inattendus et exceptionnels dans ce coin paumé vont étroitement réunir.
D'abord il y a la mort de l'abbé Pierre qui chamboule Gus, allez savoir pourquoi. Gus aimait bien le bonhomme sans doute. Puis des cris et des coups de feu dans les bois qui le poussent à fouiner du côté de chez Abel. Ce qui n'est pas du goût du vieux voisin... Puis des suceurs de Bibles, comme Gus les surnomme, qui tournent comme des mouches à bouses autour de sa maison. Et pour couronner le tout, au village, le voisin du Paradis qui lui cause pour la première fois de sa vie pour tenter de l'arnaquer. Rien ne va plus au pays.
Au fil des pages, Gus égraine l'histoire de la famille, un passé difficile cousu de non-dits et de lourds secrets de famille, avec beaucoup de violence, en lien avec l'histoire de Abel qui a toujours été son plus proche voisin et que des anciennes fâcheries ont éloigné. D'ailleurs lui aussi en a bavé.

Pas facile cette vie de paysans, sans femme,  sur fond de solitude, comme on en imagine plus... A l'écart de tout progrès technologique, couchés tôt levés tôt, des hommes qui se contentent de peu et qui savent encore apprécier les choses simples. On ne les envie pas pour autant tellement la vie semble rude et impitoyable.

Franck Bouysse a brillamment réussi son coup : le décor est saisissant, noir et lumineux à la fois, un contraste qu'on retrouve chez ses personnages. Les vieux nous surprennent par leur humanité. Et  ils savent en user contre la bétise. Sans compter que ce brave Gus sait causer, croyez-moi. Et il est loin d'être con en plus !
On peut rajouter que Franck Bouysse a beaucoup de talent et une belle plume. Certains ont même évoqué une écriture à la Simenon. En tout cas, elle est au service d'un récit touchant qui saisit aux tripes.

Grossir le ciel de Franck Bouysse, la Manufacture de livres, 2015

Camilla Läckberg, à n'en plus pouvoir ...



Ultra médiatisée en France, Camilla Läckberg a écrit une série de polars qui a débuté avec la Princesse des glaces. Publié dans la collection Actes Noir en 2008, elle surfait fièrement sur la vague Millénium de Stieg Larsson. Depuis elle a publié en France huit titres dans cette série et son héroïne Erica Falck enchaîne succès sur succès. 250 000 exemplaires écoulés pour ce premier titre ! 
Tout commence dans une petite station balnéaire suédoise Fjällbacka. Une femme est retrouvée morte dans sa baignoire. Le doute s'installe rapidement sur les causes du décès et Erica, une amie d'enfance, enquête aux côtés de Patrick Hedström, qui travaille au commissariat, pour venir à bout de l'affaire. Patrick, ce personnage récurrent, la jeune enquêtrice en fait rapidement son mari et père de la petite famille ! Une marque de fabrique de l'écrivain suédoise : On sait tout de la petite vie quotidienne de l'héroïne et de ses bambins, les sombres histoires de famille et son passé tumultueux qui tiennent une place capitale dans tous ces polars.
Ficelé avec de multiples rebondissements,  le récit s'articule finalement toujours de la même façon. Toujours le même schéma dans ces polars : Läckberg nous ballade, elle  nous mène en bateau au fil des pages avant de nous pondre à la toute dernière page un rebondissement - un personnage qui n'est pas celui que l'on croit, un revenant ou un disparu vindicatif. Läckberg apprécie tout particulièrement de mettre en parallèle deux histoires à deux époques différentes, dont on sait qu'elles se rejoindront à la fin du roman. Une fois qu'on a pigé le truc, plus aucune surprises ! !
Elle s'intéresse aussi de près à l'histoire récente de la Suède, notamment aux relations entre son pays et l'Allemagne nazie.
Je note toujours aussi quelques incohérences ou aberrations qui me donnent le sentiment que la longue série d'enquêtes de Erica commence à s'essouffler... Quand arrêtera-elle de fourrer son nez dans les enquêtes de son mari !!
Je me demande comment cette série va se terminer ...? Et quand !
Quoi qu'il en soit Camilla Läckberg est l'une des auteurs suédoises la plus lue au monde (5 millions d'exemplaires vendus, dont 2 millions en France)

Dernier titre publié La Faiseuse d'anges,  traduit du suédois par Lena Grumbach, Actes Sud 2015


vendredi 10 avril 2015

Sherlock ! Oh My God !


OMG ! Sherlock is back ! Les médias ont beaucoup parlé des deux films réalisés par Robert Downey Jr (à raison d'ailleurs ! Jude Law est renversant...), mais si l'on apprécie Sherlock Holmes, il semble difficile, voire impossible, de passer à coté de la série télé !

Sherlock, c'est une sacrée bonne surprise ! Bloody good ! Sans doute légèrement blasée par les séries policières américaines, j'ai suivi avec délectation tous les épisodes. Déjà trois saisons au compteur, avec seulement trois épisodes pour chacune d'entre elles. Trop peu !

Posons le décor. Sherlock est une série policière britannique diffusée depuis 2010 par la BBC écrite avec brio par Mark Gatiss et Steven Moffat. L'incontournable Moffat, à qui l'on doit de nombreux épisodes du mythique Docteur Who, autre série anglaise que je vous recommande. D'emblée, la série remporte un succès incontestable en Grande-Bretagne, applaudie par la presse anglaise : "A worldwilde success, a global phenomenon" comme le titrait récemment  The Telegraph. En France, le premier épisode a été diffusé en 2011.
Les raisons du succès de la série ?  En quelques mots :
- Deux acteurs flamboyants : Benedict Cumberbatch (en lice pour les Oscars cette année) dans le rôle de Sherlock et Martin Freeman (le Hobbit de Peter Jackson) dans celui de Watson. Leur interprétation est pétillante et bourrée d'humour. Et le flegme britannique est préservé, surtout  par le personnage de Mycroft. Moriarty lui est parfaitement réussi, effrayant et redoutable comme il se doit et Laura Adler est sulfureuse !  Beaucoup de justesse dans ce casting. De bons choix d'acteurs qui en font une série géniale.
- Une adaptation libre et contemporaine des romans de Conan Doyle, on retrouve des enquêtes très connues mais totalement revisitées comme celle du Chien de Baskerville. Les meilleurs épisodes sont selon moi ceux du Scandale à Buckingham et Le Signe des trois. Drolatique et ingénueux ! Et les enquêtes sont brillantes, de vraies "whodunit" dignes des maîtres britanniques !
- Une série en complet décalage avec les romans : Sherlock accroc aux sms et au GPS, qui utilise des patchs antitabac, dans un décor du 221B Baker Street des années 50. Jubilatoire ! 

En résumé, Sherlock est une série osée et créative. Le tournage de la saison 4 est en cours... Rien à voir avec la série Elementary que j'ai commencée à visionner, pourtant ambitieuse avec son personnage féminin de Watson.
Foncez les yeux fermés !

Sherlock, intégrale des saisons 1 à 3, BBC et France Télévisions Distribution, septembre 2014

dimanche 15 février 2015

La nuit de l'accident

Que s'est-il réellement passé la nuit de l'accident?
Tout a démarré sur une route du Cantal en pleine campagne. Un mauvais virage qui surprend un conducteur dans la nuit et le voiture qui se précipite dans la rivière le Celé quelques mètres en contrebas. A la porte de sa ferme, Pierre, lui, a tout vu. Mais il est trop tard quand il se précipite au bord de la rivière. Le conducteur gît raide mort sur la berge. Les gendarmes du coin concluent rapidement à un banal accident. Dans les jours qui suivent, des événements viennent bouleverser la vie de Pierre et de celles des habitants du village. Le chien de Pierre est massacré, un motard fou poursuit les habitants dans les chemins creux, le vieux voisin rebouteux confond Pierre avec son oncle mort à la guerre et surtout un campeur, genre beau gosse un peu trop curieux, s'installe près de la ferme et commence à poser des questions sournoises sur l'accident. Il tourne autour de Nat la femme de Pierre et l'interroge sur cette fameuse nuit et les agissements des voisins et de Pierre.

Voilà à quoi se résume l'intrigue de ce polar "de campagnes". Le roman d'Elisa Vix est prétexte à un arrêt sur image sur des personnages rustres -certains à l'âme très noire-  et également sur les relations de ce couple en pleine crise. Pierre est un "brave" paysan, un bel homme bien bâti, un peu "taiseux". Il habite dans la ferme qu'il a hérité de ses parents, où il est né d'ailleurs. Il n'en revient toujours pas d'avoir mis dans son lit Nat la jolie rousse, vétérinaire, que le village entier semble lui envier. Pourtant il est incapable de préserver cet amour et leur relation se disloque inexorablement. Pierre doit choisir entre son amour pour sa terre et celui pour Nat. Un amour qui va le conduire à la folie.
Les personnages sont convaincants, sans trop de stéréotypes -on suppose qu' Elisa Vix a dû croiser certaines d'entre eux au cours de sa carrière de vétérinaire.

Comme dans le roman L'Hexamètre de Quintilien que j'ai lu récemment, le roman d'Elisa Vix est court et efficace finalement. Elle utilise le style d'écriture à deux voix, celle de Nat et celle de Pierre, qui permet de bien rythmer le récit et de nous conduire vers le dénouement final avec beaucoup de maîtrise.

Inévitablement, ce roman m'a rappelé ceux écrits par Sébastien Japrisot  L'Eté meurtrier et La Maison assassinée de Pierre Magnan qui ont souvent planté leur décor au fin fond des campagnes françaises et qui mettent en scène des personnages souvent très noirs, cruels pour certains et viscéralement attachés à leur terre. Mais il m'évoque aussi ceux plus récents de Sandrine Collette, que j'ai apprécie tout particulièrement en ce moment, notamment Noeud d'acier.

C'est ce que j'appelle un bon polar "casse-croûte", de ceux qu'on lit avec beaucoup de plaisir mais qui ne marque pas définitivement .

La Nuit de l'accident de Elisa Vix, aux éditions Rouergue Noir , 2012.



mercredi 21 janvier 2015

Bourlinguer dans les rues de Santiago

Rien à voir avec San Francisco, les rues de de Santiago sont celles de Santiago du Chili et celles de Santiago Quinones de la police d'investigation du Chili. Celles surtout où se déroule ce petit polar de 150 pages que j'ai lu d'un trait dans un Tgv entre Paris et Nîmes. Une lecture qui m'a coupé le souffle car en refermant ce petit roman, on a l'impression que tout s'est déroulé à une vitesse folle. De la mort de ce gamin dealer, un merdeux de quinze ans "abattu sans le vouloir véritablement" par Santiago, à la rencontre avec l'envoûtante femme aux dents mal rangées Ema Marin, et puis celle avec Riquelme l'ancien flic aux pratiques douteuses, et au final  l'escroquerie honteuse de " la grand-mère" avec cet avocat véreux... Et, sans en avoir l'air, quelle histoire d'amour ! Santiago est un vrai flic de roman noir. Il aime les femmes, Marina celle avec laquelle il vit avant de s'amouracher pour cette Ema, reine de l'arnaque, qui manipule pesos et sentiments avec dextérité.... Il aime la bouteille aussi et cède facilement devant un petit rail de poudre. Et puis Santiago aime son père. Mort et enterré dans un petit cimetière de Vina del Mar,  proche de Valparaiso, port coloré du Chili. Bref, j'ai aimé ce livre, d'une violence et d'une tendresse étourdissantes.
Voilà une nouvelle fois une jeune maison d'édition indépendante à la conquête de lecteurs, "passionnée de culture urbaine et de bourlingage en tout genre" . Alors je dis : pari tenu, pourvu que ça dure !

"Les Rues de Santiago", de Boris Quercia, traduit de l'espagnol (Chili) par Baptiste Chardon, Asphalte éditions, 2014

jeudi 15 janvier 2015

Le polar sud-africain de Wessel Ebersohn

Depuis mes années au lycée, l'histoire de l'Afrique du Sud m' a toujours beaucoup intéressée. Une séance scolaire au cinéma pour visionner le film Cry Freedom de Richard Attenborough en 1987 en est à l'origine. Depuis je n'ai pas lâché l'affaire... Et le roman policier permet une véritable intrusion dans l'histoire de ce pays. Deon Meyer et Roger Smith l'ont  prouvé à plusieurs reprises. L'alliance des deux est parfaite.

Je ne connaissais pas Wessel Ebersohn, pourtant trois romans ont déjà fait de lui un digne représentant de la littérature policière sud-africaine : Coin perdu pour mourir en 1979, La nuit divisée en 1981, et Le Cercle fermé en 1990. Il met alors en scène Yudel Gordon, un psychiatre juif affecté au service des prisons pendant les années de l'apartheid.

La tuerie d'Octobre publié en 2011 marque le retour de Yudel Gordon.
Le 22 octobre 1985, dans une ferme du Lesotho, Abigail Bukula assiste à l'âge de quinze ans au massacre de ses parents et de militants anti-apartheid au cours d'un raid organisé par un commando blanc. Elle doit la vie à un jeune soldat, Leon Lourens. Bien des années plus tard, Abigail devient haut fonctionnaire du nouveau gouvernement sud-africain, une fonctionnaire bien en vue au ministère de la Justice. C'est alors que Leon Lourens lui demande de l'aider car il se sent menacé. Chaque année, le 22 octobre, un membre du commando est assassiné. Ne restent que lui et Marinus Van Jaarsveld le chef  du commando militaire qui croupit en prison. Lourens prétend que le gouvernement cherche à régler ses comptes. Pourtant, rapidement, cette hypothèse est écartée.
Consciente de le dette qu'elle doit à ce soldat, Abigail se retrouve alors confrontée à ces vieux démons, le souvenir de l'horreur vécue au Lesotho et les évènements qui ont suivi dans la prison où était emprisonnée la poignée de survivants au massacre. C'est alors qu'elle fait appel à Yudel Gordon pour l'aider à mieux cerner le véritable assassin et l'arrêter à temps. Le psy l'aidera également à affronter des souvenirs insoutenables confinés au plus profond de son âme.

Voilà en quelques mots la trame de ce roman. Bien menée même si la première partie me semble un peu lente et le récit peine à se mettre en place. Dommage.

Mais Wessel Ebersohn s'attache surtout à décrire l'évolution de ce pays sous de nombreux aspects, à la fois avec beaucoup d'admiration -  quand il évoque le nouveau gouvernement multiraciale, (avec la présence de femmes noires), la brève rencontre avec Mandela - mais également avec beaucoup de dépit. Violences et criminalité croissantes, corruption de fonctionnaires, pauvreté des townships - que les Noirs d'Afrique du Sud n'ont pas eu les moyens de quitter - démontrent les difficultés à se répartir équitablement les parts du gâteau, au lendemain des premières élections. Encore aujourd'hui,  le combat se poursuit pour l'égalité des différentes communautés.

Wessel Ebersohn évite surtout les poncifs manichéens. Tous le noirs n'étaient pas bons - petit rappel des expéditions punitives dans les townships contre les traîtres noirs sous le régime de l'apartheid - et les blancs n'étaient pas tous des salauds cruels et en faveur de l'apartheid.
Il rappelle également que, depuis les élections démocratiques, cette nouvelle nation est loin d'avoir réglé tous ses comptes avec son passé.... Certains anciens "maîtres" convoqués devant le commission Vérité et Réconciliation sont à nouveau placés sur les plus hautes marches du pouvoir.

Bref, une écriture intelligente avec un arrêt sur images critique sur l'Afrique du sud contemporaine. Malgré tout, Wessel Ebersohn semble avoir foi en l'avenir de ce pays.

La Tuerie d'octobre, de Wessel Ebersohn traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Fabienne Duvigneau, Rivages/noir, 2014




samedi 10 janvier 2015

L'hexamètre de Quintilien

Le titre du roman peut rebuter mais il faut tenter le coup... C'est précisément ce que je me suis dit en ouvrant le roman d'Elisa Vix - j'ai une fois de plus suivi les conseils de Bernard Poirette - paru aux (excellentes)  éditions du Rouergue.

Quèsaco alors cet Hexamètre de Quintilien ? Rien de moins que le questionnaire employé par les journalistes pour cerner au plus juste un évènement. : Qui ? Où ? Quoi ? Quand? Comment ? Pourquoi ?
Je reprends donc le questionnement de Lucie,  personnage central  de ce roman, pour écrire ce billet.

QUI ? L'histoire commence de façon tragique. Un bébé sans vie est retrouvé dans une poubelle en bas d'un petit immeuble. C'est là que vit Lucie une jeune journaliste de trente ans. Témoin de la découverte du petit corps, elle reconnaît l'enfant. Il s'agit de Yanis le fils de Leila, le jeune mère célibataire du deuxième. Dans cette petite résidence, tout le monde se connaît : Pierre, urgentiste qui n'a pas quitté sa tête d'enterrement depuis la mort de sa femme et Kévin son ado de fils dépressif, Marco le playboy stéréotypé au costard Kenzo, aux chaussures italiennes et aux dents bien blanches qui dirige un Apple store, et puis Leila la maman célibataire avec deux jeunes enfants, son bébé et Sarah sa petite fille de six ans. C'est la commissaire Beethoven qui est chargé de l'enquête.
OU ?  Le roman et l'enquête se déroulent dans ce petit immeuble, presque comme une pension de famille où tout les habitants se croisent et se saluent poliment dans les escaliers, à peine plus sinon quelques menus services rendus pour dépanner, jusqu'à la macabre découverte.
QUOI ? Un bébé mort sans aucun motif.  Une mère qui avoue.
QUAND et COMMENT ? De façon horrible, le meurtrier l'a frappé au visage à multiples reprises. En pleine nuit, sans bruit.
POURQUOI ? C'est bien la question que se pose Lucie, en mal de piges, qui voit là l'opportunité d'écrire un bon papier sur les infanticides. Les questions de société lui tiennent en effet très à coeur, à l'image de Florence Aubenas qu'elle admire pour son travail de journaliste. Pourquoi c'est également ce que se demande le commissaire Beethoven, "la grosse flic", une dure à cuire qui combat " la saloperie ".

- Mais pourquoi a -t-elle fait ...ça ?
  Beethoven a haussé les épaules.
- La saloperie.
- La saloperie ?
- La saloperie de la vie. 

- Vous ne croyiez pas que j'étais si vieille, n'est-ce-pas ?
- Non, c'est vrai.
- J'ai cinquante-sept ans. J'ai pris une retraite anticipée. 
La sonnerie du four a tinté.  Je me suis levée.
- A cause de ... ai-je commencé en déposant le mug fumant devant Beethoven.
- Oui, à cause de la saloperie.

Je soupçonne l'auteur de porter la même admiration à Aubenas que Lucie tant elle aborde avec beaucoup de délicatesse, et de justesse aussi, des questions sociétales telles que la protection de l'enfance ou celle des femmes.

Par ailleurs, Elisa Vix a mis un soin tout particulier à relater la vie des ces gens ordinaires dans cet immeuble, un quotidien avec ses difficultés et ses belles rencontres, et sa cruauté parfois. Elle leur donne d'ailleurs la parole dans chacun des chapitres du roman. Et petit à petit, l'enquête conduira chaque habitant à la rencontre de son voisin.
Au milieu du roman, le récit semble alors prendre de la distance avec le meurtre et l'enquête. Pourtant il n'en est rien, Elisa Vix n'a pas pour autant négligé le côté polar de son roman noir. De façon inattendue (ou pas..)  les faits refont surface quand tout semble apaisé dans ce petit immeuble et la vérité nous explose à la face dans les dernières pages.. Une vérité dont on ne sait que faire...

L'Hexamètre de Quintilien de Elisa Vix, dans la collection Rouergue Noir, 2014