vendredi 21 avril 2017

Eté meurtrier à Bondrée



Eté 1967. Boundary Pound dans l'état du Maine, à la frontière du Canada. Ce lac bordé par une forêt dense abrite une colonie de chalets. Pendant l'été, c'est le lieu de villégiature idéal pour les Américains et leurs voisins Québécois.
Tout le monde se connait et les vacanciers se retrouvent chaque été au bord du lac. Parmi eux, Zaza Mulligan et Sissy Morgan, de jolies filles, l'une rousse l'autre blonde, qui sont deux amies inséparables. De celles qui se connaissent sur le bout des ongles, complices et liées à la vie à la mort. De celles qui savent jouer de leur beauté, des filles qui  dansent sur les pontons du lac, qui chantent à tue-tête Lucy in the sky. De celles qui attirent les regards des hommes de Bondrée. Du haut de ses douze ans, la petite Andrée ne les lâche pas d'une semelle, fascinée par leur désinvolture et leur joyeuse indécence. Elle les espionne. Comme Zaza et Sissy, elle s'entraine à dire « foc » sans rien y comprendre, et les regarde "frencher" les garçons.
Ce simple bonheur au bord du lac ne s'éternise pas... Zaza disparaît dans les épaisses forêts entourant Boundary Pond. Elle est retrouvée morte, la jambe prise dans un vieux piège à ours. On veut croire à un accident, mais Sissy disparaît à son tour. C'est alors que le nom de Peter Landry refait surface, ce trappeur mort depuis longtemps qui a donné le nom de Bondrée au lac et qui semble décidé à semer les pièges mortels d'outre-tombe.

Précipitez-vous sur ce roman ! Pour vous en convaincre, voilà ce que je vous en dirai :
L'histoire est  captivante grâce notamment à un vrai bon suspense qui tient la route. Jusqu'au bout, on se laisse emporter par l'enquête. Rien n'est dévoilé avant les pages finales.
Le décor à la Twin Peaks, comme nous le souffle la dernière de couv', est aux petits oignons. Beauté et noirceur des espaces, mélancolie des personnages, ambiance contemplative et douceur de vivre. On est fascinés par le talent de l'auteur à rendre au plus juste l'ambiance de cet été 67 : la pluie qui tombe, les plongeons dans les eaux du lac, les pas sur les pontons, les cachettes au creux des arbres, les airs fredonnés par les gamines. On hésite continuellement entre fascination et crainte, et on se laisse porter par cette plume très onirique.

L'écriture est originale et déroutante. Pas la moindre ligne de dialogue. Ils se fondent dans le texte. La narration passe de la première à la troisième personne, donnant la parole à plusieurs voix, sans égarer le lecteur. Et le plus fort c'est cette langue magnifique et chantante, un mélange curieux et drôle de mots anglais, français et québécois. Le roman est d'ailleurs écrit en français. 
Cette langue donne voix aux personnages, la petite Andrée prise au piège cet été-là entre l'enfance et l'adolescence, leurs pères envoutés par les deux ados dont on tait les noms préférant "that kind of girl"pour parler d'elles, les flics Stan Michaud et Cuzak chargés de faire taire la légende du vieux trappeur. Quel talent pour raconter les sentiments et pour creuser l'âme des membres de cette petite communauté !
Il est fort à parier que le récit s'inspire des souvenirs de l'enfance de Andrée A. Michaud : la petite porte le même prénom que l'auteur et le flic son nom de famille. Ce qui donne probablement cette force au roman et fait de Andrée Michaud une conteuse hors pair et d'une très grande virtuosité.
Bondrée, mon coup de coeur de ce début d'année, révèle une littérature nord-américaine d'une qualité étonnante et insoupçonnée.

Bondrée de Andrée A. Michaud, Rivages 2016 - Prix des Lecteurs Quais du polar 2017

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