jeudi 1 mai 2014

L'homme qui a vu l'homme qui a vu Sasco

Pays basque, janvier 2009. Iban Urtiz assiste à la première conférence de presse de la famille Sasco. Jokin, le fils, ancien militant basque membre d'ETA qui a déjà passé dix ans dans les prisons espagnoles, a disparu. Il s'est volatilisé, sans aucune explication, aucun signe de vie depuis depuis vingt-quatre jours.
Le jeune journaliste, fraîchement débarqué de Savoie, n'est rien de plus qu'un erdaldun, (en langue basque celui qui parle une langue étrangère, en opposition au euskaldun, celui qui parle le basque), une différence de statut qui le tient éloigné de la famille Sasco très méfiante et protégée d'une main de fer par Peio le grand frère toujours attaché à la cause basque. En revanche, sa soeur Etzia, ainsi qu''Elia l'ancienne compagne de Jokin, sont prêtes à collaborer avec le journaliste qui semble déterminé à faire son boulot de journaliste : suivre la trace de Jokin pour le retrouver et faire éclater la vérité sur sa disparition. Une seule question en tête A qui profite le crime?

Alors pour cela, Iban Urtiz va creuser pour découvrir les activités des militants basques, les trafics d'argent, qui le conduiraient à Sasco. Pour mettre à jour les actions menées dans l'ombre par les cellules antiterroristes françaises et espagnoles, le journaliste fouine. Il enquête sur d''autres disparitions et enlèvements de militants basques de part et d'autre de la frontière.
Enquête de tous les dangers pour le journaliste. Il reçoit des avertissements (tu dois choisir ton camp !) et  des menaces de mort. Mais qui les profèrent véritablement ? De quel camp sont ces hommes cachés sous leurs cagoules ? Une enquête difficile et douloureuse qui a pour toile de fond le terrorisme antiterrorisme. Et Iban finira par se brûler les ailes.

Le roman est très poignant et Iban Urtiz, comme l'auteur, font preuve parfois de sollicitude envers les femmes. Elles occupent une place prépondérante dans ce récit. Elles sont elles aussi durement touchées dans ce combat. Mère résignée et taiseuse, soeur et compagne qui subissent nombre d'humiliations et de violences quotidiennes. Des femmes victimes de gardes à vue, abusives parfois, (qui les rendent dures et silencieuses), de séquestrations et de tortures qui les marquent à jamais.

Marin Ledun a tout fait pour ne pas tomber dans le manichéisme. Les violences policières au nom de l'Etat vs le combat de ces jeunes indépendantistes basques. Pas facile mais plutôt réussi. Par ailleurs, c'est vraiment bien documenté. Une intrusion percutante dans les activités d'ETA (Euskadi Ta Askatasuna) des années 2000 qui nous replonge dans les heures les plus sombres de cette région. Qui a oublié les attentats au pays basque, les GAL (les Groupes antiterroristes de libération) dans les années quatre-vingt ! Moi sûrement pas. Un matin d'avril 1985, à Pamplona, une bombe ETA a explosé en bas de mon immeuble. Réveil fracassant et chargé d'angoisse pour les habitants et attaque meurtrière et sanglante pour la patrouille de police visée. Près de trente ans plus tard, on pensait toute cette terreur stoppée de part et d'autre. Il n'en était rien en 2009. Par la suite, en octobre 2011, l'ETA a annoncé l'arrêt définitif de ses actions armées.

Il faut le souligner, dans ce roman, la fiction a rejoint la réalité. Marin Ledun s'est inspiré de la disparition d'un militant basque Jon Anza en avril 2009. La famille Anza est venue saluer l'auteur à l'occasion d'une rencontre dédicace, en se présentant sous le nom des membres de la famille Sasco.

"L'homme qui a vu l'homme" de Marin Ledun, aux éditions Ombres noires, 2014