mercredi 21 janvier 2015

Bourlinguer dans les rues de Santiago

Rien à voir avec San Francisco, les rues de de Santiago sont celles de Santiago du Chili et celles de Santiago Quinones de la police d'investigation du Chili. Celles surtout où se déroule ce petit polar de 150 pages que j'ai lu d'un trait dans un Tgv entre Paris et Nîmes. Une lecture qui m'a coupé le souffle car en refermant ce petit roman, on a l'impression que tout s'est déroulé à une vitesse folle. De la mort de ce gamin dealer, un merdeux de quinze ans "abattu sans le vouloir véritablement" par Santiago, à la rencontre avec l'envoûtante femme aux dents mal rangées Ema Marin, et puis celle avec Riquelme l'ancien flic aux pratiques douteuses, et au final  l'escroquerie honteuse de " la grand-mère" avec cet avocat véreux... Et, sans en avoir l'air, quelle histoire d'amour ! Santiago est un vrai flic de roman noir. Il aime les femmes, Marina celle avec laquelle il vit avant de s'amouracher pour cette Ema, reine de l'arnaque, qui manipule pesos et sentiments avec dextérité.... Il aime la bouteille aussi et cède facilement devant un petit rail de poudre. Et puis Santiago aime son père. Mort et enterré dans un petit cimetière de Vina del Mar,  proche de Valparaiso, port coloré du Chili. Bref, j'ai aimé ce livre, d'une violence et d'une tendresse étourdissantes.
Voilà une nouvelle fois une jeune maison d'édition indépendante à la conquête de lecteurs, "passionnée de culture urbaine et de bourlingage en tout genre" . Alors je dis : pari tenu, pourvu que ça dure !

"Les Rues de Santiago", de Boris Quercia, traduit de l'espagnol (Chili) par Baptiste Chardon, Asphalte éditions, 2014

jeudi 15 janvier 2015

Le polar sud-africain de Wessel Ebersohn

Depuis mes années au lycée, l'histoire de l'Afrique du Sud m' a toujours beaucoup intéressée. Une séance scolaire au cinéma pour visionner le film Cry Freedom de Richard Attenborough en 1987 en est à l'origine. Depuis je n'ai pas lâché l'affaire... Et le roman policier permet une véritable intrusion dans l'histoire de ce pays. Deon Meyer et Roger Smith l'ont  prouvé à plusieurs reprises. L'alliance des deux est parfaite.

Je ne connaissais pas Wessel Ebersohn, pourtant trois romans ont déjà fait de lui un digne représentant de la littérature policière sud-africaine : Coin perdu pour mourir en 1979, La nuit divisée en 1981, et Le Cercle fermé en 1990. Il met alors en scène Yudel Gordon, un psychiatre juif affecté au service des prisons pendant les années de l'apartheid.

La tuerie d'Octobre publié en 2011 marque le retour de Yudel Gordon.
Le 22 octobre 1985, dans une ferme du Lesotho, Abigail Bukula assiste à l'âge de quinze ans au massacre de ses parents et de militants anti-apartheid au cours d'un raid organisé par un commando blanc. Elle doit la vie à un jeune soldat, Leon Lourens. Bien des années plus tard, Abigail devient haut fonctionnaire du nouveau gouvernement sud-africain, une fonctionnaire bien en vue au ministère de la Justice. C'est alors que Leon Lourens lui demande de l'aider car il se sent menacé. Chaque année, le 22 octobre, un membre du commando est assassiné. Ne restent que lui et Marinus Van Jaarsveld le chef  du commando militaire qui croupit en prison. Lourens prétend que le gouvernement cherche à régler ses comptes. Pourtant, rapidement, cette hypothèse est écartée.
Consciente de le dette qu'elle doit à ce soldat, Abigail se retrouve alors confrontée à ces vieux démons, le souvenir de l'horreur vécue au Lesotho et les évènements qui ont suivi dans la prison où était emprisonnée la poignée de survivants au massacre. C'est alors qu'elle fait appel à Yudel Gordon pour l'aider à mieux cerner le véritable assassin et l'arrêter à temps. Le psy l'aidera également à affronter des souvenirs insoutenables confinés au plus profond de son âme.

Voilà en quelques mots la trame de ce roman. Bien menée même si la première partie me semble un peu lente et le récit peine à se mettre en place. Dommage.

Mais Wessel Ebersohn s'attache surtout à décrire l'évolution de ce pays sous de nombreux aspects, à la fois avec beaucoup d'admiration -  quand il évoque le nouveau gouvernement multiraciale, (avec la présence de femmes noires), la brève rencontre avec Mandela - mais également avec beaucoup de dépit. Violences et criminalité croissantes, corruption de fonctionnaires, pauvreté des townships - que les Noirs d'Afrique du Sud n'ont pas eu les moyens de quitter - démontrent les difficultés à se répartir équitablement les parts du gâteau, au lendemain des premières élections. Encore aujourd'hui,  le combat se poursuit pour l'égalité des différentes communautés.

Wessel Ebersohn évite surtout les poncifs manichéens. Tous le noirs n'étaient pas bons - petit rappel des expéditions punitives dans les townships contre les traîtres noirs sous le régime de l'apartheid - et les blancs n'étaient pas tous des salauds cruels et en faveur de l'apartheid.
Il rappelle également que, depuis les élections démocratiques, cette nouvelle nation est loin d'avoir réglé tous ses comptes avec son passé.... Certains anciens "maîtres" convoqués devant le commission Vérité et Réconciliation sont à nouveau placés sur les plus hautes marches du pouvoir.

Bref, une écriture intelligente avec un arrêt sur images critique sur l'Afrique du sud contemporaine. Malgré tout, Wessel Ebersohn semble avoir foi en l'avenir de ce pays.

La Tuerie d'octobre, de Wessel Ebersohn traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Fabienne Duvigneau, Rivages/noir, 2014




samedi 10 janvier 2015

L'hexamètre de Quintilien

Le titre du roman peut rebuter mais il faut tenter le coup... C'est précisément ce que je me suis dit en ouvrant le roman d'Elisa Vix - j'ai une fois de plus suivi les conseils de Bernard Poirette - paru aux (excellentes)  éditions du Rouergue.

Quèsaco alors cet Hexamètre de Quintilien ? Rien de moins que le questionnaire employé par les journalistes pour cerner au plus juste un évènement. : Qui ? Où ? Quoi ? Quand? Comment ? Pourquoi ?
Je reprends donc le questionnement de Lucie,  personnage central  de ce roman, pour écrire ce billet.

QUI ? L'histoire commence de façon tragique. Un bébé sans vie est retrouvé dans une poubelle en bas d'un petit immeuble. C'est là que vit Lucie une jeune journaliste de trente ans. Témoin de la découverte du petit corps, elle reconnaît l'enfant. Il s'agit de Yanis le fils de Leila, le jeune mère célibataire du deuxième. Dans cette petite résidence, tout le monde se connaît : Pierre, urgentiste qui n'a pas quitté sa tête d'enterrement depuis la mort de sa femme et Kévin son ado de fils dépressif, Marco le playboy stéréotypé au costard Kenzo, aux chaussures italiennes et aux dents bien blanches qui dirige un Apple store, et puis Leila la maman célibataire avec deux jeunes enfants, son bébé et Sarah sa petite fille de six ans. C'est la commissaire Beethoven qui est chargé de l'enquête.
OU ?  Le roman et l'enquête se déroulent dans ce petit immeuble, presque comme une pension de famille où tout les habitants se croisent et se saluent poliment dans les escaliers, à peine plus sinon quelques menus services rendus pour dépanner, jusqu'à la macabre découverte.
QUOI ? Un bébé mort sans aucun motif.  Une mère qui avoue.
QUAND et COMMENT ? De façon horrible, le meurtrier l'a frappé au visage à multiples reprises. En pleine nuit, sans bruit.
POURQUOI ? C'est bien la question que se pose Lucie, en mal de piges, qui voit là l'opportunité d'écrire un bon papier sur les infanticides. Les questions de société lui tiennent en effet très à coeur, à l'image de Florence Aubenas qu'elle admire pour son travail de journaliste. Pourquoi c'est également ce que se demande le commissaire Beethoven, "la grosse flic", une dure à cuire qui combat " la saloperie ".

- Mais pourquoi a -t-elle fait ...ça ?
  Beethoven a haussé les épaules.
- La saloperie.
- La saloperie ?
- La saloperie de la vie. 

- Vous ne croyiez pas que j'étais si vieille, n'est-ce-pas ?
- Non, c'est vrai.
- J'ai cinquante-sept ans. J'ai pris une retraite anticipée. 
La sonnerie du four a tinté.  Je me suis levée.
- A cause de ... ai-je commencé en déposant le mug fumant devant Beethoven.
- Oui, à cause de la saloperie.

Je soupçonne l'auteur de porter la même admiration à Aubenas que Lucie tant elle aborde avec beaucoup de délicatesse, et de justesse aussi, des questions sociétales telles que la protection de l'enfance ou celle des femmes.

Par ailleurs, Elisa Vix a mis un soin tout particulier à relater la vie des ces gens ordinaires dans cet immeuble, un quotidien avec ses difficultés et ses belles rencontres, et sa cruauté parfois. Elle leur donne d'ailleurs la parole dans chacun des chapitres du roman. Et petit à petit, l'enquête conduira chaque habitant à la rencontre de son voisin.
Au milieu du roman, le récit semble alors prendre de la distance avec le meurtre et l'enquête. Pourtant il n'en est rien, Elisa Vix n'a pas pour autant négligé le côté polar de son roman noir. De façon inattendue (ou pas..)  les faits refont surface quand tout semble apaisé dans ce petit immeuble et la vérité nous explose à la face dans les dernières pages.. Une vérité dont on ne sait que faire...

L'Hexamètre de Quintilien de Elisa Vix, dans la collection Rouergue Noir, 2014