dimanche 30 avril 2017

Seules les bêtes


Les campagnes françaises n'ont pas fini de fasciner les écrivains. La preuve en est le tout dernier polar de Colin Niel, qui délaisse la Guyane l'espace d'un roman.  
Colin Niel s'aventure en terre inconnue, il s'égare sur les causses. La rudesse du paysage y est sans limite. Le plateau à perte de vue, aride et froid que vous traversez sans la moindre envie de vous y arrêter, avec pour seule trace de vie quelques fermes clairsemées.
Tout commence par la disparition d'une femme. Evelyne Ducat a laissé sa voiture au pied d'un sentier de rando et depuis plus aucune trace. Elle est la femme d'un enfant du pays, parti à la ville et qui s'est embourgeoisé. Il est revenu étaler sa réussite aux yeux des caussenards en s'offrant une belle maison et une grosse bagnole. Les gendarmes du coin sont perdus, les pistes ne mènent à rien. Ils ont beau questionner, visiter les fermes, explorer les avens et ratisser le plateau à la fonte de la neige, l'enquête s'enlise.

Colon Niel donne voix à cinq personnages qui tour à tour racontent leur histoire : Alice l'assistante sociale, Joseph le paysan du Causse qui élève des brebis, et trois autres personnages dont je ne révélerai rien au risque de gâcher l'intrigue, savamment imaginée par Colin Niel. Sans parler du personnage de couverture...

Il aborde avec beaucoup de justesse le douloureux sujet de la solitude dans les zones rurales. Elles sont confrontées à la désertification depuis plusieurs années. Joseph vit sur le causse, ses parents sont morts et progressivement il a appris à vivre avec cette solitude, sans jamais vraiment l'accepter. Il étouffe. La liberté dans les campagnes est un fantasme du citadin. La nature y dicte ses règles, sans épargner ceux qui y vivent et le paradoxe entre grands espaces et enfermement y est permanent.
Ce qui fait de ce décor rural un personnage à part entière du roman noir.

Les habitants du causse sont confrontés à des conditions de vie désastreuses. Un paysan se suicide tous les deux jours en France, victime de difficultés financières insurmontables. Victime du mal d'amour parfois. On pense alors aux émissions dans les prés des campagnes françaises qui vendent l'amour comme des biens de consommation...

Colin Niel n'a pas lésiné pour s’imprégner de cette terre. Dans plusieurs interviews, il le répète. Il a écouté les hommes et a affronté leur solitude. J'ai été bluffée par son écriture. Les cinq personnages prennent la parole, et cette parole est rendue au plus juste, chaque mot choisi avec précision, ce qui donne cette intensité au roman.
Seules les bêtes déborde d'humanité et confronte le lecteur à une cruelle réalité. C'est à la fois touchant et accablant de tristesse.
 Et si vous avez lu Grossir le ciel de Franck Bouysse alors le mieux serait de poursuivre l'exploration du rural noir avec Colin Niel. 

Seules les bêtes de Colin Niel, aux (excellentes !) éditions du Rouergue, 2017
Prix Landerneau du polar 2017

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