mardi 22 avril 2014

Ce qui n'est pas écrit

Je me suis laissé tenter par ce roman, après avoir entendu Bernard Poirette sur RTL en faire quelques éloges. Le samedi matin, j'apprécie  la petite chronique du présentateur de la chaîne. Rendez-vous fidèle qui me réjouit et m'inspire. Souvent.

Pour ce roman signé de l'espagnol Rafael Reig, je crois que je suis passée à côté. Pourtant l'idée de départ du roman m'attirait. Carlos emmène son fils Jorge pour une rando en pleine montagne, une nuit en bivouac et la suivante en refuge. Une belle occasion de partager une relation père-fils privilégiée, ce qui leur est impossible puisqu' ils ne vivent plus sous le même toit depuis quelques années et ont eu peu l'opportunité de se voir entre hommes. Dès le début, c'est la déconfiture ! Jorge n'est pas à la hauteur des espérances de son père. Ce gros bébé de 14 ans semble avoir toutes les tares de sa belle famille ! Carlos, lui, n'inspire que crainte et frayeur à son fils.
Quand ils arrivent au refuge, Jorge est surpris et agacé de revoir la petite amie de son père. Carmen, elle, est restée chez elle, pour ne pas mettre en péril cette nouvelle relation père-fils, ce qu'elle regrette rapidement. En effet Carlos lui a laissé le manuscrit d'un roman qu'il vient tout juste de terminer. Après leur départ, elle en entame la lecture. Peu à peu, elle ne peut s'empêcher de lire entre les lignes. Elle transpose alors cette fiction en faits réels, en événements qu'elle a déjà vécus avec son ex-compagnon. Carmen sent monter une angoisse qui  la grignote petit à petit, laissant libre court à une imagination sans limite. Que se passe-t-il vraiment en ce moment dans la montagne ? Comment va Jorge ? N'a -t-elle pas fait preuve d'inconscience en le laissant partir seul avec son père ? Quelles sont les intentions réelles de Carlos ? Règlements de compte familiaux ? Menaces à peine voilées ? Rancoeurs contre Carmen et Jorge ? Le récit se construit autour des trois narrations : Carlos et Jorge / Carmen / le manuscrit, passant de l'un à l'autre et guidant le lecteur (ou le noyant) entre fiction et réalité.

Je m'imaginais que ce thriller psychologique me causerait à moi aussi bien des tourments, que Carmen  angoisserait mes nuits avec ses doutes et ses craintes, mais ça n'a pas été le cas. Dans le même genre d'escapades "bivouac papa-fiston au fin fond de la montagne", je garde en mémoire le fabuleux Sukkwan Island de David Van. Dommage, mais je en suis pas rancunière et suis curieuse de lire le suivant  !

"Ce qui n'est pas écrit" de Rafael Reig, traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse, Ed Métailié, 2014

dimanche 20 avril 2014

Bienvenue en enfer !

Sandrine Collette m'avait glacé le sang en 2013, je l'attendais donc au tournant en 2014 avec son tout dernier roman. Avec beaucoup d'appréhension car comment renouveler un coup de maître, comment faire mieux, ou du moins tout aussi bien ? Je n'ai pas lésiné sur les moyens pour m'attaquer à son deuxième thriller psychologique. En avril, je suis allée la rencontrer aux Quais du polar à Lyon, le must du festival de roman policier dans l'Hexagone. Invitée parmi les poids lourds du genre en ce moment : Ellroy (en guest star, sollicité de toutes parts..) Läckberg, star descendue tout droit de sa Suède natale, Deon Meyer, mon sud-africain préféré, Franck Thilliez et Karine Giebel, couple royal  du thriller français, et j'en passe et des meilleurs et souvent aussi plus discrets... Parmi ceux-là, Sandrine Collette ! Coincée entre deux autres bonnes plumes mais facile à trouver pour toute bonne lectrice  persévérante comme moi ...

Revenons-en aux faits. Un vent de cendres commence par un accident. A couper le souffle. C'est moi qui conduis, moi qui frêne violemment, les pneus qui crissent, moi qui suis prisonnière des taules froissées, les sirènes des secours qui  me transpercent... une description bluffante. Bilan : Andreas le conducteur et Octave un des passagers survivent. Laure la jeune femme qui les accompagne, celle qu' Andreas voulait épouser, ne sera pas épargnée.

Dix années ont passé. Les deux jeunes hommes se sont transformés  en morts vivants, Octave est défiguré. Ils ont trouvé refuge au cœur du vignoble de Champagne. En septembre de cette année, une équipe de vendangeurs arrivent à la propriété. Parmi eux, Camille. Par sa forte ressemblance avec Laure, elle fascine immédiatement Octave, et elle semble envoûtée par ce "monstre". Mais Malo son frangin qui l'accompagne veille sur elle et lui intime de se méfier de ce type au visage et à l'âme ravagés par l'accident. Andreas, qui vit cloîtré dans le maison du domaine, n'est pas dupe de leur petit manège. C'est alors que Malo se volatilise...

Si on pensait que Sandrine Collette en avait fini avec les horreurs dissimulées au fin fond de la campagne française, avec des personnages torturés et blessés dans leur chair et dans leur tête, alors on s'est trompés. Je ne sais pas si les deux hommes sont pires que les deux frangins des Noeuds d'acier, en tout cas, une fois de plus, l'espoir n'est pas de mise. Même si dans ce roman la tension grandit peu à peu et que la peur croit de façon latente, on se prend encore à croire à une fin raisonnablement "heureuse"...

Ce que j'apprécie surtout c'est la façon de raconter la fuite. La fuite du mal, les poursuites oppressantes dans des lieux clos, qui se soldent souvent de façon tragique. Une écriture et un rythme qui rappellent d'autres scènes ponctuées d'angoisses de même nature Délivrance, le labyrinthe de Shining. Et puis comme le précédent roman, Sandrine Collette s'attache à décrire des êtres ravagés et haineux. Andreas et Octave souffrent de blessures irrémédiables. "La mort de Laure est une blessure. Comme tout autre blessure, elle guérira de gré ou de force. Mais elle laissera une cicatrice. Qui lui fera mal par mauvais temps [...]Ou quand il y aura du vague à l'âme, comme on dit qu'il y a du vent. Une cicatrice refermée, qui restera  l'endroit le plus fragile de son corps et de son âme." En quelques lignes, voilà la clef de ce roman.

"Un vent de cendres" de Sandrine Collette, Ed Denoël, 2014

Dossier 64

Après Misérciorde, Profanation et Délivrance, les trois premiers thrillers du danois Jussi Adler Olsen, ce Dossier 64 est un nouveau cold case confié à l'équipe déjantée du département V, confinée au sous-sol du commissariat.

Commençons par les présentations d'ailleurs. Carl Morck flemmard invétéré est inspecteur de police placardisé à la suite d'une affaire sanglante qui a coûté cher à ces deux coéquipiers. Il y a aussi le factotum-balayeur Hafez El-Assad. Il  se présente simplement comme syrien et c'est un mystère à lui tout seul, et  le fil rouge tout au long des romans. Il nous abreuve de réparties truculentes aux parfums de déserts et de dromadaires et de proverbes dignes des plus grands marabouts africains tels que "Qui pisse contre le vent, se rince les dents". Rose n'est pas en reste. Cette secrétaire redoutable et atypique souffre d'un syndrome de double personnalité, une sacrée fille qui embrouille fortement les deux mecs de l'équipe.

Justement c'est de femmes dont il est question dans ce polar. Novembre 2010, la tenancière d'une agence d'escort girls se fait violemment agresser. Rose fait rapidement le rapprochement avec une autre affaire non résolue. En 1987, Rita Nielsen une prostituée s'est volatilisée, sans explication, et, en fouinant un peu, Rose découvre que d'autres disparitions ont eu lieu à la même époque. De fil en aiguille, ces deux affaires conduisent le département V dans les années 50, sur l'île de Sprögo. A cette époque, l'Etat danois y enfermait des femmes considérées comme des rebuts de la société au nom de théories eugénistes.  Des femmes enceintes ou qui dérogeaient à la bonne moralité danoise, considérées comme débiles ou folles. L'Eugénisme prônait l'isolement et la stérilisation contrainte de ces femmes pour éviter qu'elles ne gangrènent la société et la race "pure" danoise, et plus largement les sociétés scandinaves et de l'Europe du Nord. Un passé peu glorieux pour le Danemark qui resurgit en 2010 sous les traits de Curt Wad, un sale type partisan de l'eugénisme (comme son bon vieux papa) et qui met encore en application ces pratiques barbares.

Le sujet est poignant. Et l'histoire de cette vengeance qui mène le récit est plutôt réussie. On avale les six cents pages du roman avec rage. Le Danois a encore réussi son coup. ( Ouf ! Cela compense amplement l'écriture parfois sans relief, comme c'est souvent le cas chez nos auteurs nordiques préférés... ) On attend une suite évidemment. On aimerait savoir qui se cache derrière Assad ? (ou pas d'ailleurs ...!? ) Et puis encore se délecter de cet humour truculent. On  redemande de ces petites leçons de vie prodiguée par Rose  (pour toutes celles et ceux qui se demandaient  "comment faire pipi dans les toilettes des filles"...).

"Dossier 64" de Jussi Adler-Olsen traduit du danois par Caroline Berg, Ed. Albin Michel, 2014