samedi 19 mars 2016

Il reste la poussière


Quatrième roman paru dans l'excellente collection "Sueurs Froides" de Denoël, Il reste la poussière confirme (si cela était encore bien nécessaire...) le talent de Sandrine Collette, championne hexagonale du huis clos.

Si dans Nœuds d'acier Théo était réduit à l'état de bête confinée au fond de la cave de deux vieux frères cruels et dépourvus de toute humanité, Rafael lui subit l'impitoyable cruauté de ses frères au beau milieu des grands espaces de la steppe argentine. La Patagonie semble alors tout aussi oppressante que cette cave. Des terres à perte de vue, où le bétail s'égare, les hommes aussi d'ailleurs. Une estancia posée au milieu de nulle part, balayée par le vent.  Et la ville à quelques heures de cheval. C'est dans ce décor, au début du siècle dernier, que grandit le gamin de dix ans. Avec ses frères ainés, les jumeaux Joaquim et Mauro, Steban, et "la mère". Increvable et vieille crevure qui mène la ferme et ses fils d'une main de fer. La vie est un enfer pour Rafael souffre-douleur des jumeaux, il est prisonnier de leur haine. Rien à attendre de la mère, qui n'a pour obsession que le bétail et la survie de la ferme depuis que le père s'est "volatilisé" un beau matin. Quand elle descend à la ville pour affaires, elle picole et joue au poker les quelques billets âprement gagnés par le travail de bête de ses fils. C'est à la table de jeu que l'histoire de la famille bascule, quand, à sec de billets, elle mise son aîné...

La cruauté n'a pas de limite pour Sandrine Collette, mais elle façonne des personnages qui lui résistent avec acharnement. Ce gamin affronte la rudesse de son existence avec beaucoup d'humanité. Il fait face à cette haine quotidienne, il a pour seuls compagnons son cheval et son chien. Sans avoir les mains liées, il est prisonnier de la fratrie. Il les deteste tous mais comment s'en détacher ? Vers qui se tourner de toute façon ? Et partir où ? Où chercher la liberté ? Rafael ne connaît que la ferme et les terres alentours où il chevauche sur les traces des troupeaux. Un jour, enfin la chance lui sourit, il fait la rencontre de l'abuelo et du "bonheur"qui lui sauveront la vie. Lui qui ne connaît que le mot "malheur" que la mère vocifère chaque jour.

On retrouve dans le roman tous les sujets de prédilection de Sandrine Collette -  fratrie cruelle exempte d'amour, violence et cruauté des hommes, territoires inhospitaliers et climats rigoureux - avec beaucoup de justesse, sans concessions. Et sur les terres argentines, elle nous dévoile sa passion pour les chevaux.
Grande voyageuse dans l'âme, Sandrine Collette nous entraîne dans des paysages très différents qui rendent souvent les âmes noires aux hommes qui y vivent : décor rural du fin fond de la France, montagnes d'Europe centrale, et pour Il reste la poussière, on file en Patagonie, au début du siècle, où les petits éleveurs tentent de survivre face à la prolifération des grands élevages de bovins, à la "viande sans goût". Les prémices de la "mondialisation moderne" y éradiquent déjà de façon impitoyable les petits paysans.
Quel roman noir ! Il me rappelle celui de Anne-Laure Bondoux Les larmes de l'Assassin, merveilleuse histoire plantée dans ces paysages de désolation argentins où un gamin est confronté à la cruauté humaine. Même innocence et même espérance. 
Les dernières pages sont jubilatoires ! Eblouissantes ! Rafael est enfin libre...

Il reste la poussière de Sandrine Colette publié aux éditions Denoël, 2016



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