dimanche 6 mars 2016

Les enfants de l'eau noire


Welcome to Texas ! Années 1930. Élevée dans la misère au bord de la Sabine, May Linn, jolie brin de fille de seize ans, rêve de devenir star de cinéma. Un rêve qui s'achève brutalement lorsqu'on repêche dans le fleuve son cadavre mutilé, retenu au fond de l'eau par une vieille machine à coudre. Pas d'enquête, à quoi bon déranger les forces de l'ordre pour une miséreuse. D'ailleurs elle sera enterrée au cimetière des indigents.
Sue Ellen, sa camarade adolescente, accompagnée de ses amis Terry, beau garçon homosexuel, et Jinx, une jeune Noire qui n'a pas la langue dans sa poche, décident alors de l'exhumer, de l'incinérer et d'emporter ses cendres à Hollywood, l'endroit de ses rêves ! Pour cela ils doivent descendre le fleuve...
Voler un radeau rien de plus facile, mais ils ont besoin de quelques dollars pour arriver jusqu'à destination. Avec beaucoup de culot, les gamins récupèrent le magot d'un hold-up. Ensuite, la bande rejointe par la mère dépressive de Sue Ellen, s'embarque dans une périlleuse descente du fleuve, le diable aux trousses. Car non seulement Sy, flic violent et corrompu, et l'oncle Eugene bien décidé à récupérer le pognon les pourchassent, mais Skunk, un monstre sorti de l'enfer, cherche aussi à leur faire la peau. 

De la littérature américaine pur jus ! 

Décor Deep South. Joe R. Lansdale, Texan originaire de Gladewater, connaît bien son affaire. Quinze ans après son chef d’œuvre les Marécages, il plante à nouveau le décor dans le grand Sud américain. La Sabine est la colonne vertébrale de ce roman. Le corps de May Linn y repose. Eaux noires et profondes comme l'enfer et souvent tumultueuses, elles donnent du fil à retordre au radeau. Mais elle reste surtout la seule voie pour fuir, pour ses gamins partir vers une vie meilleure. Eaux sacrées du baptême aussi pour le révérend rencontré au bord du fleuve. Fleuve aux eaux noires salvatrices, nourricières, impitoyables et protectrices parfois, la Sabine ne sera pas pire que la cruauté des hommes.

Ambiance à la Steinbeck. Landsdale s'attache à décrire le sort des petites gens et les douleurs de leur vie. Le roman se déroule pendant la Grande Dépression des années 30. Le krach de 1929 a laissé des traces : récession économique, appauvrissement de la société, ségrégation raciale. Les gamins crèvent de faim, chacun essaie de sauver sa peau, les flics véreux ne font plus la loi, les Noirs sont de vulgaires négros qui doivent rester à leur place... Les fuyards feront une sordide rencontre au bord au fleuve, comme une sorcière sortie de la noirceur des bois. Une vieille femme acariâtre habite dans une bicoque au bord de la Sabine, fille de de cotonniers esclavagistes et ruinés, encore marquée par des vieilles rancœurs de la guerre de Sécession. Sacrée personnage emblématique du Deep South des années trente !

Roman sur l'enfance (Tom Sawyer, Huckleberry Finn les revoilà...), l'adolescence et l'émancipation évidemment. Soudés par une amitié inébranlable, Sue Ellen, Terry et Jinx cherchent tous à fuir leur crasses et leur vie de misère. Marre de se faire tripoter par un père alcolo, de vivre comme des loques ou des larbins, de se faire traiter de négresse ou de pédé, ils ont décidé de choisir leur destin et de ne plus subir. 

Pas vraiment un roman policier, comme souvent dans la collection Sueurs froides que j'apprécie tout particulièrement, les Enfants de l'eau noire serait plutôt le remake angoissant de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. Ce qui en fait inévitablement un bon roman !

Les Enfants de l'eau noire de Joe R. Lansdale traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc, Denoël 2015



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