lundi 28 mars 2016

Qui a tué l'ayatollah Kanuni ?

Un titre simple qui résume toute l'intrigue de ce roman de l'Iranienne Naïri Nahapétian.

L'ayatollah Kanuni, un barbu du régime d'Iran, est au centre du polar. Retrouvé assassiné dans son bureau du palais de justice. Découvert par une féministe islamique fortement engagée politiquement, Leïla, et un jeune Français Narek ignorant tout de ses origines iraniennes qui y séjourne comme jeune reporter pour un hebdo parisien à l'occasion des élections présidentielles. Mirza Mozaffar, un ancien ministre laïque et amie de Leïla, enquête lui aussi à leur côté. Une enquête qui s'avère rapidement difficile et dangereuse. Car qui en veut à l'ayatollah ? Anciens rivaux, assassinat lié aux guerres de pouvoir, ou à des  intérêts économiques bien dissimulés ? Non rien n'est simple dans ce contexte politique en 2005. Le roman nous conduit à la veille de la première élection d'Ahmadinejad," le fanatique " ou celui que " les vrais Iraniens adorent ". Un pays imprégné d'islam, au cœur de la vie des Iraniens - surtout celles des Iraniennes - le pétrole et le gaz comme monnaie d'échange avec les puissances occidentales, la diabolisation des Américains, les moudjahidin et les prisons où s'entassent opposants politiques et religieux de tous âges. Les enquêteurs vont découvrir que le pouvoir est gangréné par la corruption, en particulier les fondations islamiques, et surtout que l'argent au cœur des ce trafic n'a pas d'odeur.

Belle invitation  au pays des Barbus d'Iran, guidée par cette Iranienne qui vit en France depuis l'âge de neuf ans, aux lendemains de la Révolution sanglante islamique. Elle propose un portrait surprenant de Leïla, féministe islamique d'Iran, à la fois intriguée et apeurée par la notion de Liberté des pays occidentaux. Et un coup de projecteur fascinant et effrayant sur l'Iran. 
Sûr ! Rien n'a voir avec un polar suédois !

Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? de Naïri Nahapétian, Liana Lévi, 2008.

samedi 19 mars 2016

Il reste la poussière


Quatrième roman paru dans l'excellente collection "Sueurs Froides" de Denoël, Il reste la poussière confirme (si cela était encore bien nécessaire...) le talent de Sandrine Collette, championne hexagonale du huis clos.

Si dans Nœuds d'acier Théo était réduit à l'état de bête confinée au fond de la cave de deux vieux frères cruels et dépourvus de toute humanité, Rafael lui subit l'impitoyable cruauté de ses frères au beau milieu des grands espaces de la steppe argentine. La Patagonie semble alors tout aussi oppressante que cette cave. Des terres à perte de vue, où le bétail s'égare, les hommes aussi d'ailleurs. Une estancia posée au milieu de nulle part, balayée par le vent.  Et la ville à quelques heures de cheval. C'est dans ce décor, au début du siècle dernier, que grandit le gamin de dix ans. Avec ses frères ainés, les jumeaux Joaquim et Mauro, Steban, et "la mère". Increvable et vieille crevure qui mène la ferme et ses fils d'une main de fer. La vie est un enfer pour Rafael souffre-douleur des jumeaux, il est prisonnier de leur haine. Rien à attendre de la mère, qui n'a pour obsession que le bétail et la survie de la ferme depuis que le père s'est "volatilisé" un beau matin. Quand elle descend à la ville pour affaires, elle picole et joue au poker les quelques billets âprement gagnés par le travail de bête de ses fils. C'est à la table de jeu que l'histoire de la famille bascule, quand, à sec de billets, elle mise son aîné...

La cruauté n'a pas de limite pour Sandrine Collette, mais elle façonne des personnages qui lui résistent avec acharnement. Ce gamin affronte la rudesse de son existence avec beaucoup d'humanité. Il fait face à cette haine quotidienne, il a pour seuls compagnons son cheval et son chien. Sans avoir les mains liées, il est prisonnier de la fratrie. Il les deteste tous mais comment s'en détacher ? Vers qui se tourner de toute façon ? Et partir où ? Où chercher la liberté ? Rafael ne connaît que la ferme et les terres alentours où il chevauche sur les traces des troupeaux. Un jour, enfin la chance lui sourit, il fait la rencontre de l'abuelo et du "bonheur"qui lui sauveront la vie. Lui qui ne connaît que le mot "malheur" que la mère vocifère chaque jour.

On retrouve dans le roman tous les sujets de prédilection de Sandrine Collette -  fratrie cruelle exempte d'amour, violence et cruauté des hommes, territoires inhospitaliers et climats rigoureux - avec beaucoup de justesse, sans concessions. Et sur les terres argentines, elle nous dévoile sa passion pour les chevaux.
Grande voyageuse dans l'âme, Sandrine Collette nous entraîne dans des paysages très différents qui rendent souvent les âmes noires aux hommes qui y vivent : décor rural du fin fond de la France, montagnes d'Europe centrale, et pour Il reste la poussière, on file en Patagonie, au début du siècle, où les petits éleveurs tentent de survivre face à la prolifération des grands élevages de bovins, à la "viande sans goût". Les prémices de la "mondialisation moderne" y éradiquent déjà de façon impitoyable les petits paysans.
Quel roman noir ! Il me rappelle celui de Anne-Laure Bondoux Les larmes de l'Assassin, merveilleuse histoire plantée dans ces paysages de désolation argentins où un gamin est confronté à la cruauté humaine. Même innocence et même espérance. 
Les dernières pages sont jubilatoires ! Eblouissantes ! Rafael est enfin libre...

Il reste la poussière de Sandrine Colette publié aux éditions Denoël, 2016



dimanche 6 mars 2016

Les enfants de l'eau noire


Welcome to Texas ! Années 1930. Élevée dans la misère au bord de la Sabine, May Linn, jolie brin de fille de seize ans, rêve de devenir star de cinéma. Un rêve qui s'achève brutalement lorsqu'on repêche dans le fleuve son cadavre mutilé, retenu au fond de l'eau par une vieille machine à coudre. Pas d'enquête, à quoi bon déranger les forces de l'ordre pour une miséreuse. D'ailleurs elle sera enterrée au cimetière des indigents.
Sue Ellen, sa camarade adolescente, accompagnée de ses amis Terry, beau garçon homosexuel, et Jinx, une jeune Noire qui n'a pas la langue dans sa poche, décident alors de l'exhumer, de l'incinérer et d'emporter ses cendres à Hollywood, l'endroit de ses rêves ! Pour cela ils doivent descendre le fleuve...
Voler un radeau rien de plus facile, mais ils ont besoin de quelques dollars pour arriver jusqu'à destination. Avec beaucoup de culot, les gamins récupèrent le magot d'un hold-up. Ensuite, la bande rejointe par la mère dépressive de Sue Ellen, s'embarque dans une périlleuse descente du fleuve, le diable aux trousses. Car non seulement Sy, flic violent et corrompu, et l'oncle Eugene bien décidé à récupérer le pognon les pourchassent, mais Skunk, un monstre sorti de l'enfer, cherche aussi à leur faire la peau. 

De la littérature américaine pur jus ! 

Décor Deep South. Joe R. Lansdale, Texan originaire de Gladewater, connaît bien son affaire. Quinze ans après son chef d’œuvre les Marécages, il plante à nouveau le décor dans le grand Sud américain. La Sabine est la colonne vertébrale de ce roman. Le corps de May Linn y repose. Eaux noires et profondes comme l'enfer et souvent tumultueuses, elles donnent du fil à retordre au radeau. Mais elle reste surtout la seule voie pour fuir, pour ses gamins partir vers une vie meilleure. Eaux sacrées du baptême aussi pour le révérend rencontré au bord du fleuve. Fleuve aux eaux noires salvatrices, nourricières, impitoyables et protectrices parfois, la Sabine ne sera pas pire que la cruauté des hommes.

Ambiance à la Steinbeck. Landsdale s'attache à décrire le sort des petites gens et les douleurs de leur vie. Le roman se déroule pendant la Grande Dépression des années 30. Le krach de 1929 a laissé des traces : récession économique, appauvrissement de la société, ségrégation raciale. Les gamins crèvent de faim, chacun essaie de sauver sa peau, les flics véreux ne font plus la loi, les Noirs sont de vulgaires négros qui doivent rester à leur place... Les fuyards feront une sordide rencontre au bord au fleuve, comme une sorcière sortie de la noirceur des bois. Une vieille femme acariâtre habite dans une bicoque au bord de la Sabine, fille de de cotonniers esclavagistes et ruinés, encore marquée par des vieilles rancœurs de la guerre de Sécession. Sacrée personnage emblématique du Deep South des années trente !

Roman sur l'enfance (Tom Sawyer, Huckleberry Finn les revoilà...), l'adolescence et l'émancipation évidemment. Soudés par une amitié inébranlable, Sue Ellen, Terry et Jinx cherchent tous à fuir leur crasses et leur vie de misère. Marre de se faire tripoter par un père alcolo, de vivre comme des loques ou des larbins, de se faire traiter de négresse ou de pédé, ils ont décidé de choisir leur destin et de ne plus subir. 

Pas vraiment un roman policier, comme souvent dans la collection Sueurs froides que j'apprécie tout particulièrement, les Enfants de l'eau noire serait plutôt le remake angoissant de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. Ce qui en fait inévitablement un bon roman !

Les Enfants de l'eau noire de Joe R. Lansdale traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc, Denoël 2015



dimanche 7 février 2016

Les Fugueurs de Glasgow

Comme tout bon polar, le roman commence par le meurtre d'un homme en 2015. Simon Flet recherché depuis cinquante ans par la police britannique et qui avait trouvé refuge en France. De son assassin on ne sait rien et ce n'est pas une enquête policière qui conduira à la révélation finale. 

A Glasgow, Maurie, vieil homme piégé au fond d'un hôpital par une saloperie de cancer, lui connaît la vérité et il veut régler quelques comptes avant de casser sa pipe. Alors pour ça il fugue, comme cinquante ans plus tôt avec ses vieux copains Dave et Jack et son petit-fils Ricky au volant. Direction the Big Smoke, comme en 1965. Bien décidés à faire le périple à l'identique.

Ils étaient alors cinq garçons de 17 ans à foutre le camp d’Écosse, pour fuir une adolescente terne et miséreuse, à la conquête de Londres, de ses studios de musique, impatients de vivre de leur musique, de se mêler à l’excitation collective de Londres des Sixties. Évidemment, rien ne se passe comme prévu. Contraints de s'arrêter à Leeds, il récupère Rachel la cousine de Maurie, et dans la capitale, ils échouent chez le Docteur Robert, expert en hallucinogènes. Sans en croire leurs yeux ni leurs oreilles, leur chemin croise celui des Beatles, Dylan, Lennon, ils entrent dans les studios mythiques londoniens et goûtent à tous les interdits. Mais le petit groupe de musiciens s'englue et ne perce pas. Leur amitié est mise à mal, même la belle histoire d'amour entre Jack et Rachel s’effondre. Un soir, une tragédie scellera à jamais le sort du petit groupe. 

En 2015, la fugue des trois vieillards claudicants n'est guère plus reluisante et à peine plus sage, mais assez cocasse ! (un peu comme les vieux de la vieille qui se carapatent de l''hospice), sous le regard incrédule et parfois amusé de Ricky, obèse, geek et mal dégrossi. Leur escapade resserre les liens entre ces deux générations qui ne se comprennent pas, prétexte aussi à une belle rencontre entre un grand-père et son petit-fils. Avec beaucoup de nostalgie, la fine équipe rassemble ses souvenirs au fil du voyage. Le pays a changé, chacun a suivi son chemin mais leur amitié est intacte. Leur périple prendra fin là où elle a commencé cinquante ans plus tôt, levant le voile sur les événements de 1965.

Peter May est très attachée à son Écosse natale. Il prend un soin tout particulier à évoquer cette jeunesse écossaise éblouie par la capitale britannique, assourdie par la déferlante du rock. Avec justesse sans aucun doute, car il s'inspire de sa propre fugue.

Les Fugueurs de Glasgow est un roman noir et sombre sur fond d'une Angleterre déprimée et à l'agonie. Mais ce décor laisse place à une amitié inébranlable et une histoire pleine d'humanité. Un road-trip qui réchauffe le cœur, une folle aventure humaine, bercé par les Beatles.


Les Fugueurs de Glasgow de Peter May, traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue, Éditions du Rouergue, 2015.




dimanche 24 janvier 2016

Lauren Beukes, à prendre ou à laisser


Lauren Beukes est une écrivain sud-africaine de polar bien particulière. J'ai présenté récemment Les Lumineuses, premier roman policier sorti en 2013 qui suivait deux romans du genre fantastique. Je me demandais ce que me réserverait  Les Monstres en 2015.
Je n'ai pas été surprise car, une nouvelle fois, Lauren Beukes a écrit un polar avec un dénouement audacieux et osé qui a de quoi surprendre ceux qui ne la connaissent pas encore. On aime ou on déteste ! 

En quelques mots, voici ce qu'il faut savoir de l'intrigue : L'inspectrice Gabriella Versado travaille à Detroit, aux Homicides. Elle ne s'était jamais trouvée face à une telle monstruosité : un jeune garçon mutilé, le haut de son corps mêlé aux membres inférieurs d'un cerf. Gabi se lance alors à la recherche du macabre sculpteur. Pendant ce temps, sa fille, Layla, qu'elle délaisse trop souvent, se met en tête de débusquer des pervers sur Internet avec sa meilleure copine de lycée Cas. Sa mère ne se doute pas un instant que l'adolescente est à deux doigts de tomber entre les mains d'un psychopathe.

Ça sent le bon thriller évidemment, mais pas que. Lauren Beukes ne se contente pas de nous embarquer avec talent dans cette enquête, elle nous entraîne dans une vraie descente aux enfers.
Les médias, les réseaux sociaux, l'art dégoulinent de monstruosités. Lauren Beukes découpe au scalpel une société occidentale pourrie, où les monstres ne sont pas toujours ceux qu'on croit. Ou, tout du moins, ceux qui affichent leurs horreurs à la face du monde le font de bien des façons (meurtres, agressions, mépris, violences sur internet).

Autre surprise, Lauren Beukes d'origine sud-africaine a posé le décor du roman aux Etats-Unis. Les descriptions de Detroit rappellent celles de la ville de Boston écrites par le talentueux Dennis Lehane, avec ses quartiers délabrés qui vomissent toute la misère humaine. 
Quoiqu'en disent certains, je trouve que les personnages ont de l'épaisseur : les deux ados ne sont pas que des boutonneuses décérébrées, le SDF, l'accroc aux  réseaux sociaux, chacun laisse au fil des pages transparaître ses failles et sa volonté de changer sa destinée. Une destinée qui les conduit tous à ces dernières pages du roman,  au dénouement incroyable de Lauren Beukes. 

A prendre ou a laisser. Moi je prends, j'aime le surprises !

Les Monstres de Lauren Beukes,
traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Laurent Philibert-Caillat, Presses de la Cité, 2015 

jeudi 14 janvier 2016

Le mystère de l'ours brun des Abruzzes tué comme un chef de clan dans les quartiers espagnols de Naples

En 2015, les éditions Liana Lévi nous ont réservé une belle surprise. Parution discrète, auteur inconnu mais avec un titre pareil difficile de ne pas succomber !

Direction Naples. Tony Perduto, la trentaine, est un journaliste "à la petite semaine", contraint de donner des cours au fils du boucher et alimenter des rubriques jardinage pour boucler ses fins de mois. Pourtant, il rêve du scoop, mais il a dû se contenter de la rubrique faits divers (invasion de cafards dans les bassi napolitains, la loterie, les chiens disparus, et j'en passe...) du journal local. Jusqu'à ce matin où, au hasard de ces balades matutinales, dans les quartiers espagnols, il tombe nez à nez avec un ours ! Raide mort au beau milieu de la rue ! 
Enfin il la tient sa une ! Il en est convaincu et il ne lâchera pas le morceau...  Il enquête et commence à mettre son nez là où il ne devrait pas... A Naples, il vaut mieux se mêler de ses affaires et se tenir à l'écart de la camorra.

Avec ce court roman, Antonio Menna nous offre une belle visite de Naples, ponctuée de rencontres piquantes et drôles avec le petit peuple, et il décrit sa ville avec beaucoup de tendresse. L'enquête de Tony Perduto nous emmène dans une Naples souterraine et plus sombre, celle notamment des nantis et du "Parrain" local, la ville du boss, le chef de clan mafieux.

Le récit est plein d'humour, les relations entre Perduto et sa mère envahissante ne manquent pas de piment ! Il en va de même des tentatives illusoires de Tony pour repousser la belle Marinella.
Délicieusement italien tout ça ! J'adore !
 
Franchement pourquoi bouder ce plaisir ? Le roman peut vous paraître léger mais il n'en est rien. Cette enquête est drôle et touchante et l'histoire de cet ours est profondément triste. Et la visite de Naples en vaut le détour. Alors avanti !

L'étrange histoire de l'ours brun abattu dans les quartiers espagnols de Naples de Antonio Menna, traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Liana Lévi, 2015
Titre original : Il misterio del orso marsico ucciso come un boss ai quartieri spagnoli, Le mystère de l'ours marsicain tué comme un boss dans les quartiers espagnols

samedi 3 octobre 2015

Les Lumineuses


Voici une curieuse découverte ! Les lumineuses de Lauren Beukes se situe à mi-chemin entre polar et roman SF. Choix audacieux de la part de Lauren Beukes qui a dèjà démontré son talent d'écrivain de l'imaginaire (Zoo City en 2011, largement récompensé et Moxyland ). Cette fois-ci, elle réussit le pari de coller une enquête policière à ce voyage fantastique à travers le temps. De 1929 à 1993, elle nous entraîne dans les pas de Harper, tueur en série qui repère ses jeunes proies, celles qui brillent intensément (des Shinning girls),  guidé par l'âme d'une maison mystérieuse. Un fois repérées, Harper revient les assassiner des années plus tard en franchissant le seuil de la maison, la porte s'ouvre alors sur une autre année. Ce sursis est complètement glauque et tout le roman repose sur la traque, celle de Harper à la poursuite de ses victimes devenues adultes, et celle du psychopathe par Kirby, une de ses victimes qui lui a échappé. Kirby cherche à comprendre des indices aberrants et anachroniques qu'elle découvre au fil de son enquête, car Harper laisse à chacune de ses victimes un objet lié à une période qui n'est pas la sienne.

Ce soir-là, il lui a expliqué qu'elle brillait d'un éclat plus vif que les fusées qui explosaient dans le ciel et se reflétaient dans les façades vitrées des tours. Elle brillait si fort qu'il l'avait repérée de très loin... Pour cette raison, il allait la tuer. Pas tout de suite, plus tard. Quand elle serait grande.

Lauren Beukes s'en sort bien de son récit déstructuré, les détours temporels et les rencontres successives des victimes s'articulent plutôt bien. Elle le fait avec beaucoup de maîtrise, ce qui m'a permis de circuler sans trop de peine entre les époques. Pourtant l'enchaînement des chapitres peut paraître parfois  un peu déroutant pour le lecteur. Moi, cette forme de récit particulière m'a beaucoup plu.
 
Au fil du roman, on comprend que Lauren Beukes (d'origine sud-africaine) s'est beaucoup documentée sur la ville de Chicago au XXe siècle sur les mœurs et les objets emblématiques des décennies passées. De belles descriptions de la ville qui donnent une ambiance parfois très sombre et lugubre au roman.
Et un des points forts des Lumineuses, c'est son propos féministe. En témoigne la galerie de portraits de femmes. Zora, Willie, Alice, Misha, Margo, Catherine, Kirby, elle vivent toutes à des époques différentes et sont toutes très charismatiques : une jeune veuve noire qui travaille à l'usine pour faire vivre ses quatre enfants suite à la mort de son mari au combat en 1943, une avorteuse qui aide les femmes à ne pas tomber entre les mains d'un boucher dans les années 70,  une hermaphrodite en 1940 et une jeune femme qui deviendra scientifique dans un milieu  très masculin.

Chapeau pour son final aussi ! Une fin ouverte comme je les aime !

Sans conteste, c'est une belle surprise de lecture. Lauren Beukes a fait preuve de beaucoup d'audace pour ce thriller SF. Idée lumineuse, non ? 

Les Lumineuses de Lauren Beukes, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Nathalie Serval, Presses de la Cité, 2013