jeudi 19 mai 2016

Lagos lady


Lagos, Eko en yoruba. La capitale du Nigeria se distingue en occupant une place de choix dans le tout premier roman de Leye Adenle. Ville la plus peuplée du continent africain, tentaculaire au bord du golfe de Guinée où townships de maisons sur pilotis et quartiers chics de Victoria Island s'y côtoient. Ville de tous les dangers gavée d'une criminalité endémique. Les superlatifs ne manquent pas...
A la veille des élections présidentielles, le journaliste Guy Collins y débarque pour la première fois, il ne sera pas déçu de son voyage. Nous non plus ! Dans un bar, il fait la rencontre d'Amaka, plantureuse nigériane. La Lagos lady a pris le parti, à haut risque, de défendre et de veiller sur les milliers de prostituées de la capitale, victimes d'injustices de la part de la police, vols, discriminations, maltraitances de clients et meurtres. Guy Collins en est témoin devant un bar, révulsé devant le cadavre mutilé d'une fille. Le commerce du juju, les gri-gris de chair humaine, est monnaie courante en Afrique, surtout la veille d'échéances politiques cruciales. Amaka soupçonne Chief Amadi d'être un pilier de ce commerce nauséabond et responsable de ces meurtres rituels qui se multiplient. Elle embarque le journaliste dans cette sordide affaire de rituels africains, et lui demande de témoigner au monde des cruautés et des horreurs subies par les prostituées de Lagos au nom de croyances ancestrales et  de faire des révélations explosives sur des personnalités de Lagos .

Roman survolté, Lagos lady va à cent à l'heure. Polar effréné au rythme des courses poursuites, des attaques policières et règlement de comptes, le tout filmé par un Tarantino à la sauce africaine sur fond de musique de l'incontournable Fela. Pleins feux sur des personnages rongés par le vice (élites corrompues et policiers véreux) ou totalement déjantés, mais parfois aussi pleins d'humanité. Ce qui nous accorde quelques bons moments de rire et d'espoir !
Lagos lady porte un autre regard sur la prostitution dans la mégapole africaine. Les prostituées, souvent de jeunes filles, arrivent du Togo ou du Ghana. Amaka fait figure d' ange gardien pour ces femmes qui n'ont pas choisi de livrer leur corps. "Toutes vendaient leur corps pour une bonne raison aussi dérangeant que cela puisse paraitre ." Pourtant leur activité est illégale au Nigeria, et elles mettent leur vie en jeu chaque jour. L'association Les bons Samaritains fondée par Amaka tisse minutieusement un réseau de soutien médical, juridique et social et aide ses femmes à quitter le trottoir et trouver un emploi.

J'ai adoré Lagos Lady ! Le roman surprend avec des effets très cinématographiques et des dialogues piquants et ponctuées d'expressions du dialecte yoruba local.
Ce n'est pas qu'un roman sur la prostitution, c'est aussi un coup de projecteur sur la société africaine, notamment sur la police, et plus particulièrement le Nigeria.

Lagos lady de Leye Adenle  traduit de l'anglais par David Fauquemberg, Métailié Noir, 2016



jeudi 5 mai 2016

Les enfants du Cap

Perséphone, curieux prénom pour un flic ! 
Persy Jonas, jeune métisse, a décidé de raccourcir son prénom sorti du chapeau de son grand-père Poppa le jour de sa naissance, en hommage à une divinité grecque. Elle a été élevée par Poppa, dans une petite ville de la péninsule du Cap, au milieu des fynbos, avec son meilleur ami Sean. Élevé à coups de trique par son père, lui n'a pas eu autant de chance. Dans cette société sud-africaine post-apartheid, Poppa s'est battu pour que sa petite-fille entre dans une école réputée du Cap plutôt fréquentée par des Blanches et des métis de bonnes familles. Alors quand elle est entrée à l'école de police, le vieux monsieur a été surpris par ce choix. 

Persy vit aujourd'hui dans la banlieue du Cap comme de nombreux travailleurs noirs et les laisser-pour-compte blancs, noirs et métisses. Dans ces townships, les cabanes miséreuses sont plantées dans un paysage côtier éblouissant, à quelques kilomètres des villas coloniales et prétentieuses des Blancs. 

La péninsule du Cap est le théâtre majestueux d'une lutte acharnée entre défenseurs de la protection de la flore et de la préservation des paysages et farouches partisans du développement immobilier de la région. Des convoitises foncières seraient à l'origine du meurtre de Andy Sherwood, retrouvé sans vie sur la plage de Noordhoek par Marge Labuschagne. Autrefois psychologue criminelle, elle s'est rangée et est engagée pour la protection du littoral. L'affaire a été confiée à Persy. Les deux femmes s'obstinent à faire toute la lumière sur ce meurtre étroitement lié à des affaires plus anciennes, enfouies au plus profond de leurs âmes.

Marge et Persy, deux vies opposées. L'une est Blanche et a vécu sous le régime de l'apartheid, a participé aux commissions Vérité et réconciliation. L'autre est une métisse "freeborn" (les enfants nés après 1990, à la fin des lois apartheid). Leur rencontre fait des étincelles. Elle met en lumière les vieux démons toujours présents en Afrique du Sud : expropriation des plus pauvres, dominance et mépris des Blancs, townships et zones de non-droits et crise sociale. Le polar nous plonge au cœur de la nouvelle société arc-en-ciel qui se retrouve à présent confrontée à des obstacles de taille. Avec un taux de criminalité et la violence sans précédent, la corruption policière, l'immigration galopante et les spéculations économiques effrénées, le pays a déchanté. L'euphorie et les espoirs nés aux lendemains des premières élections démocratiques se sont éloignés.

Tout juste publié en France, le premier roman de Michèle Rowe retrace l'histoire touchante de ces deux enfants et de cette femme larguée. Bon point, l'intrigue du polar est nerveuse et bien menée. Il est comparé à ceux écrits par le talentueux représentant sud-africain Deon Meyer. Pourquoi pas, mais on attend de lire la suite des enquêtes de Perséphone. En espérant qu'elles nous conduisent encore une fois dans le décor de la péninsule du Cap.

Les enfants du Cap, de Michèle Rowe, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Esther Ménévis, Albin Michel, 2016




lundi 28 mars 2016

Qui a tué l'ayatollah Kanuni ?

Un titre simple qui résume toute l'intrigue de ce roman de l'Iranienne Naïri Nahapétian.

L'ayatollah Kanuni, un barbu du régime d'Iran, est au centre du polar. Retrouvé assassiné dans son bureau du palais de justice. Découvert par une féministe islamique fortement engagée politiquement, Leïla, et un jeune Français Narek ignorant tout de ses origines iraniennes qui y séjourne comme jeune reporter pour un hebdo parisien à l'occasion des élections présidentielles. Mirza Mozaffar, un ancien ministre laïque et amie de Leïla, enquête lui aussi à leur côté. Une enquête qui s'avère rapidement difficile et dangereuse. Car qui en veut à l'ayatollah ? Anciens rivaux, assassinat lié aux guerres de pouvoir, ou à des  intérêts économiques bien dissimulés ? Non rien n'est simple dans ce contexte politique en 2005. Le roman nous conduit à la veille de la première élection d'Ahmadinejad," le fanatique " ou celui que " les vrais Iraniens adorent ". Un pays imprégné d'islam, au cœur de la vie des Iraniens - surtout celles des Iraniennes - le pétrole et le gaz comme monnaie d'échange avec les puissances occidentales, la diabolisation des Américains, les moudjahidin et les prisons où s'entassent opposants politiques et religieux de tous âges. Les enquêteurs vont découvrir que le pouvoir est gangréné par la corruption, en particulier les fondations islamiques, et surtout que l'argent au cœur des ce trafic n'a pas d'odeur.

Belle invitation  au pays des Barbus d'Iran, guidée par cette Iranienne qui vit en France depuis l'âge de neuf ans, aux lendemains de la Révolution sanglante islamique. Elle propose un portrait surprenant de Leïla, féministe islamique d'Iran, à la fois intriguée et apeurée par la notion de Liberté des pays occidentaux. Et un coup de projecteur fascinant et effrayant sur l'Iran. 
Sûr ! Rien n'a voir avec un polar suédois !

Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? de Naïri Nahapétian, Liana Lévi, 2008.

samedi 19 mars 2016

Il reste la poussière


Quatrième roman paru dans l'excellente collection "Sueurs Froides" de Denoël, Il reste la poussière confirme (si cela était encore bien nécessaire...) le talent de Sandrine Collette, championne hexagonale du huis clos.

Si dans Nœuds d'acier Théo était réduit à l'état de bête confinée au fond de la cave de deux vieux frères cruels et dépourvus de toute humanité, Rafael lui subit l'impitoyable cruauté de ses frères au beau milieu des grands espaces de la steppe argentine. La Patagonie semble alors tout aussi oppressante que cette cave. Des terres à perte de vue, où le bétail s'égare, les hommes aussi d'ailleurs. Une estancia posée au milieu de nulle part, balayée par le vent.  Et la ville à quelques heures de cheval. C'est dans ce décor, au début du siècle dernier, que grandit le gamin de dix ans. Avec ses frères ainés, les jumeaux Joaquim et Mauro, Steban, et "la mère". Increvable et vieille crevure qui mène la ferme et ses fils d'une main de fer. La vie est un enfer pour Rafael souffre-douleur des jumeaux, il est prisonnier de leur haine. Rien à attendre de la mère, qui n'a pour obsession que le bétail et la survie de la ferme depuis que le père s'est "volatilisé" un beau matin. Quand elle descend à la ville pour affaires, elle picole et joue au poker les quelques billets âprement gagnés par le travail de bête de ses fils. C'est à la table de jeu que l'histoire de la famille bascule, quand, à sec de billets, elle mise son aîné...

La cruauté n'a pas de limite pour Sandrine Collette, mais elle façonne des personnages qui lui résistent avec acharnement. Ce gamin affronte la rudesse de son existence avec beaucoup d'humanité. Il fait face à cette haine quotidienne, il a pour seuls compagnons son cheval et son chien. Sans avoir les mains liées, il est prisonnier de la fratrie. Il les deteste tous mais comment s'en détacher ? Vers qui se tourner de toute façon ? Et partir où ? Où chercher la liberté ? Rafael ne connaît que la ferme et les terres alentours où il chevauche sur les traces des troupeaux. Un jour, enfin la chance lui sourit, il fait la rencontre de l'abuelo et du "bonheur"qui lui sauveront la vie. Lui qui ne connaît que le mot "malheur" que la mère vocifère chaque jour.

On retrouve dans le roman tous les sujets de prédilection de Sandrine Collette -  fratrie cruelle exempte d'amour, violence et cruauté des hommes, territoires inhospitaliers et climats rigoureux - avec beaucoup de justesse, sans concessions. Et sur les terres argentines, elle nous dévoile sa passion pour les chevaux.
Grande voyageuse dans l'âme, Sandrine Collette nous entraîne dans des paysages très différents qui rendent souvent les âmes noires aux hommes qui y vivent : décor rural du fin fond de la France, montagnes d'Europe centrale, et pour Il reste la poussière, on file en Patagonie, au début du siècle, où les petits éleveurs tentent de survivre face à la prolifération des grands élevages de bovins, à la "viande sans goût". Les prémices de la "mondialisation moderne" y éradiquent déjà de façon impitoyable les petits paysans.
Quel roman noir ! Il me rappelle celui de Anne-Laure Bondoux Les larmes de l'Assassin, merveilleuse histoire plantée dans ces paysages de désolation argentins où un gamin est confronté à la cruauté humaine. Même innocence et même espérance. 
Les dernières pages sont jubilatoires ! Eblouissantes ! Rafael est enfin libre...

Il reste la poussière de Sandrine Colette publié aux éditions Denoël, 2016



dimanche 6 mars 2016

Les enfants de l'eau noire


Welcome to Texas ! Années 1930. Élevée dans la misère au bord de la Sabine, May Linn, jolie brin de fille de seize ans, rêve de devenir star de cinéma. Un rêve qui s'achève brutalement lorsqu'on repêche dans le fleuve son cadavre mutilé, retenu au fond de l'eau par une vieille machine à coudre. Pas d'enquête, à quoi bon déranger les forces de l'ordre pour une miséreuse. D'ailleurs elle sera enterrée au cimetière des indigents.
Sue Ellen, sa camarade adolescente, accompagnée de ses amis Terry, beau garçon homosexuel, et Jinx, une jeune Noire qui n'a pas la langue dans sa poche, décident alors de l'exhumer, de l'incinérer et d'emporter ses cendres à Hollywood, l'endroit de ses rêves ! Pour cela ils doivent descendre le fleuve...
Voler un radeau rien de plus facile, mais ils ont besoin de quelques dollars pour arriver jusqu'à destination. Avec beaucoup de culot, les gamins récupèrent le magot d'un hold-up. Ensuite, la bande rejointe par la mère dépressive de Sue Ellen, s'embarque dans une périlleuse descente du fleuve, le diable aux trousses. Car non seulement Sy, flic violent et corrompu, et l'oncle Eugene bien décidé à récupérer le pognon les pourchassent, mais Skunk, un monstre sorti de l'enfer, cherche aussi à leur faire la peau. 

De la littérature américaine pur jus ! 

Décor Deep South. Joe R. Lansdale, Texan originaire de Gladewater, connaît bien son affaire. Quinze ans après son chef d’œuvre les Marécages, il plante à nouveau le décor dans le grand Sud américain. La Sabine est la colonne vertébrale de ce roman. Le corps de May Linn y repose. Eaux noires et profondes comme l'enfer et souvent tumultueuses, elles donnent du fil à retordre au radeau. Mais elle reste surtout la seule voie pour fuir, pour ses gamins partir vers une vie meilleure. Eaux sacrées du baptême aussi pour le révérend rencontré au bord du fleuve. Fleuve aux eaux noires salvatrices, nourricières, impitoyables et protectrices parfois, la Sabine ne sera pas pire que la cruauté des hommes.

Ambiance à la Steinbeck. Landsdale s'attache à décrire le sort des petites gens et les douleurs de leur vie. Le roman se déroule pendant la Grande Dépression des années 30. Le krach de 1929 a laissé des traces : récession économique, appauvrissement de la société, ségrégation raciale. Les gamins crèvent de faim, chacun essaie de sauver sa peau, les flics véreux ne font plus la loi, les Noirs sont de vulgaires négros qui doivent rester à leur place... Les fuyards feront une sordide rencontre au bord au fleuve, comme une sorcière sortie de la noirceur des bois. Une vieille femme acariâtre habite dans une bicoque au bord de la Sabine, fille de de cotonniers esclavagistes et ruinés, encore marquée par des vieilles rancœurs de la guerre de Sécession. Sacrée personnage emblématique du Deep South des années trente !

Roman sur l'enfance (Tom Sawyer, Huckleberry Finn les revoilà...), l'adolescence et l'émancipation évidemment. Soudés par une amitié inébranlable, Sue Ellen, Terry et Jinx cherchent tous à fuir leur crasses et leur vie de misère. Marre de se faire tripoter par un père alcolo, de vivre comme des loques ou des larbins, de se faire traiter de négresse ou de pédé, ils ont décidé de choisir leur destin et de ne plus subir. 

Pas vraiment un roman policier, comme souvent dans la collection Sueurs froides que j'apprécie tout particulièrement, les Enfants de l'eau noire serait plutôt le remake angoissant de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. Ce qui en fait inévitablement un bon roman !

Les Enfants de l'eau noire de Joe R. Lansdale traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc, Denoël 2015



dimanche 7 février 2016

Les Fugueurs de Glasgow

Comme tout bon polar, le roman commence par le meurtre d'un homme en 2015. Simon Flet recherché depuis cinquante ans par la police britannique et qui avait trouvé refuge en France. De son assassin on ne sait rien et ce n'est pas une enquête policière qui conduira à la révélation finale. 

A Glasgow, Maurie, vieil homme piégé au fond d'un hôpital par une saloperie de cancer, lui connaît la vérité et il veut régler quelques comptes avant de casser sa pipe. Alors pour ça il fugue, comme cinquante ans plus tôt avec ses vieux copains Dave et Jack et son petit-fils Ricky au volant. Direction the Big Smoke, comme en 1965. Bien décidés à faire le périple à l'identique.

Ils étaient alors cinq garçons de 17 ans à foutre le camp d’Écosse, pour fuir une adolescente terne et miséreuse, à la conquête de Londres, de ses studios de musique, impatients de vivre de leur musique, de se mêler à l’excitation collective de Londres des Sixties. Évidemment, rien ne se passe comme prévu. Contraints de s'arrêter à Leeds, il récupère Rachel la cousine de Maurie, et dans la capitale, ils échouent chez le Docteur Robert, expert en hallucinogènes. Sans en croire leurs yeux ni leurs oreilles, leur chemin croise celui des Beatles, Dylan, Lennon, ils entrent dans les studios mythiques londoniens et goûtent à tous les interdits. Mais le petit groupe de musiciens s'englue et ne perce pas. Leur amitié est mise à mal, même la belle histoire d'amour entre Jack et Rachel s’effondre. Un soir, une tragédie scellera à jamais le sort du petit groupe. 

En 2015, la fugue des trois vieillards claudicants n'est guère plus reluisante et à peine plus sage, mais assez cocasse ! (un peu comme les vieux de la vieille qui se carapatent de l''hospice), sous le regard incrédule et parfois amusé de Ricky, obèse, geek et mal dégrossi. Leur escapade resserre les liens entre ces deux générations qui ne se comprennent pas, prétexte aussi à une belle rencontre entre un grand-père et son petit-fils. Avec beaucoup de nostalgie, la fine équipe rassemble ses souvenirs au fil du voyage. Le pays a changé, chacun a suivi son chemin mais leur amitié est intacte. Leur périple prendra fin là où elle a commencé cinquante ans plus tôt, levant le voile sur les événements de 1965.

Peter May est très attachée à son Écosse natale. Il prend un soin tout particulier à évoquer cette jeunesse écossaise éblouie par la capitale britannique, assourdie par la déferlante du rock. Avec justesse sans aucun doute, car il s'inspire de sa propre fugue.

Les Fugueurs de Glasgow est un roman noir et sombre sur fond d'une Angleterre déprimée et à l'agonie. Mais ce décor laisse place à une amitié inébranlable et une histoire pleine d'humanité. Un road-trip qui réchauffe le cœur, une folle aventure humaine, bercé par les Beatles.


Les Fugueurs de Glasgow de Peter May, traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue, Éditions du Rouergue, 2015.




dimanche 24 janvier 2016

Lauren Beukes, à prendre ou à laisser


Lauren Beukes est une écrivain sud-africaine de polar bien particulière. J'ai présenté récemment Les Lumineuses, premier roman policier sorti en 2013 qui suivait deux romans du genre fantastique. Je me demandais ce que me réserverait  Les Monstres en 2015.
Je n'ai pas été surprise car, une nouvelle fois, Lauren Beukes a écrit un polar avec un dénouement audacieux et osé qui a de quoi surprendre ceux qui ne la connaissent pas encore. On aime ou on déteste ! 

En quelques mots, voici ce qu'il faut savoir de l'intrigue : L'inspectrice Gabriella Versado travaille à Detroit, aux Homicides. Elle ne s'était jamais trouvée face à une telle monstruosité : un jeune garçon mutilé, le haut de son corps mêlé aux membres inférieurs d'un cerf. Gabi se lance alors à la recherche du macabre sculpteur. Pendant ce temps, sa fille, Layla, qu'elle délaisse trop souvent, se met en tête de débusquer des pervers sur Internet avec sa meilleure copine de lycée Cas. Sa mère ne se doute pas un instant que l'adolescente est à deux doigts de tomber entre les mains d'un psychopathe.

Ça sent le bon thriller évidemment, mais pas que. Lauren Beukes ne se contente pas de nous embarquer avec talent dans cette enquête, elle nous entraîne dans une vraie descente aux enfers.
Les médias, les réseaux sociaux, l'art dégoulinent de monstruosités. Lauren Beukes découpe au scalpel une société occidentale pourrie, où les monstres ne sont pas toujours ceux qu'on croit. Ou, tout du moins, ceux qui affichent leurs horreurs à la face du monde le font de bien des façons (meurtres, agressions, mépris, violences sur internet).

Autre surprise, Lauren Beukes d'origine sud-africaine a posé le décor du roman aux Etats-Unis. Les descriptions de Detroit rappellent celles de la ville de Boston écrites par le talentueux Dennis Lehane, avec ses quartiers délabrés qui vomissent toute la misère humaine. 
Quoiqu'en disent certains, je trouve que les personnages ont de l'épaisseur : les deux ados ne sont pas que des boutonneuses décérébrées, le SDF, l'accroc aux  réseaux sociaux, chacun laisse au fil des pages transparaître ses failles et sa volonté de changer sa destinée. Une destinée qui les conduit tous à ces dernières pages du roman,  au dénouement incroyable de Lauren Beukes. 

A prendre ou a laisser. Moi je prends, j'aime le surprises !

Les Monstres de Lauren Beukes,
traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Laurent Philibert-Caillat, Presses de la Cité, 2015