mercredi 30 novembre 2016

Tout n'est pas perdu

Alan Forrester est thérapeute à Fairview, petite banlieue américaine cossue et sans histoires. 
Le dossier qui le préoccupe est celui de Jenny Kramer. La jeune adolescente de 15 ans, a été victime d'un viol brutal dans un bois, à quelques pas de la maison où se tenait une soirée bien arrosée entre lycéens. Pour lui épargner les angoisses post-traumatiques, des médecins prennent la décision de lui administrer un médicament qui efface purement et simplement ce souvenir, le Benzatral. Mais sa mémoire émotionnelle n'a rien oublié et, rapidement, les monstres ont refait surface et l'ont poussée au suicide. Sauvée in extremis par sa mère, Jenny veut en finir ou plutôt tout reprendre depuis le début. Elle veut se souvenir de tout, pour chasser les démons et affronter la réalité. Alors les parents confient leur enfant au thérapeute qui accepte, impatient de rencontrer Jenny, car il suit déjà un cas similaire, Sean un jeune soldat qui rentre d'Irak. Il s'agit alors de restaurer les souvenirs de ces deux patients

All is not forgotten ("Tout n'est pas oublié") est le titre original de ce thriller. L'auteur précise à la fin du livre que tout est pure fiction, ce médicament n'existe pas. Et on comprend qu'il soulève de nombreuses questions. Si c'est la mère qui accepte sans hésitation le recours à ce médicament, le père  s'y résigne à contre cœur. Ainsi la famille se déchire, tiraillée entre obsession de la justice et besoin de se reconstruire. 
Pour parvenir à reconstituer la mémoire de Jenny, Alan Forrester va rencontrer tour à tour chaque membre de la famille, décortiquer les souvenirs de leur passé, les traumatismes de l'enfance et ainsi reconstituer le puzzle de leur vie. Un vrai château de cartes au final qui vacille au fil de la lecture.
Entre les bribes des souvenirs de Jenny et l'enquête policière, des éléments vont progressivement mettre en danger la petite famille proprette du thérapeute, en apparence seulement.

Le roman pointe du doigt la manipulation psychologique, celle que subit Jenny à l’insu de tous. Il met aussi en relief les aspérités de petites vies bien rangées, qui dissimulent parfois des secrets enfouis et inavouables. 

Avec Tout n'est pas perdu, vous avez entre les mains un thriller psychologique et une intrigue criminelle bien ficelés qui se termine sur un coup de théâtre.
Wendy Walkerest une romancière à ne pas perdre de vue.

Tout n'est pas perdu de Wendy Walker, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau, Sonatine 2016

mardi 1 novembre 2016

En douce



En douce est le dernier roman de Marin Ledun. J'avais été emballée par L'homme qui a vu l'homme en 2014, alors j'avais hâte de lire à nouveau un de ses romans. Noir, encore une fois. 

Emilie la battante
Dans la lignée des précédents, En douce explore le fond de l'âme d'Emilie, une femme frappée par la violence sociale et par la déshumanisation de notre société. A 35 ans, infirmière épuisée par son boulot, jolie fille qui aime plaire et qui en abuse, orpheline depuis quelques années, elle s'interroge sur le sens de cette vie qui ne la satisfait plus. Son destin bascule quand un accident de la route lui coûte une jambe, son boulot, ses amis, et les quelques repères auxquels sa vie se cramponnait encore... Laissant place à la colère, celle de ceux qui perdent tout, écartés de la société à cause de leur origine ou de leur handicap.
Emilie décroche alors péniblement un job pourri au chenil du coin, dans cette immense forêt landaise à l'abri des regards malsains de ceux que son moignon fascine et que sa déchéance dérange. Elle enrage de toujours subir, elle rumine, elle bouillonne jusqu'à ce jour où elle identifie l'origine de son mal : Simon, celui qui l'a percutée au volant de sa voiture. Il doit payer pour l'avoir dépouillée de tout. Alors elle observe sa proie durant des jours avant de le séduire un soir d'été, le conduire chez elle et le séquestrer après lui avoir tiré une balle dans la jambe. 

Huis clos étouffant
Marin Ledun apporte un soin tout particulier au décor de ce huis clos oppressant : un chenil nauséabond et une caravane angoissante, isolés et cernés d'arbres de cette forêt sans fin et proche de la petite ville où erre Emilie. On s'imagine alors la suite de l'histoire mais Marin Ledun sait nous surprendre.
L'histoire n'est pas celle d'une "simple" séquestration orchestrée par une cruelle Kathy Bates (rappelez-vous le film Misery) landaise. Loin de là. Si elle enferme Simon, c'est pour lui en faire baver à lui aussi, le faire souffrir comme elle a souffert. Mais au final, Emilie orchestre une confrontation avec sa propre histoire, pour en changer le cours. Pour y parvenir, elle fonce dans le tas, quelque soit le prix à payer. Digne et honnête.

Entre polar et roman noir
Au fil des pages, le roman remonte le temps et retrace l'histoire désastreuse d'Emilie, et celle de Simon qui a continué de vivre comme si rien ne s'était passé sur cette nationale.  Marin Ledun choisit de décortiquer les travers de notre société moderne avec toujours autant d’âpreté. Une volonté qui se ressent dans son écriture. Un style sobre et dépouillé, ne laissant aucune place au jugement.

Un final flamboyant
La fin du roman est bouleversante, Emilie sort la tête haute, forçant l'admiration, et non plus la pitié. Enfin libre. 
Une histoire fulgurante. Un sacré bon polar !

En douce de Marin Ledun, éditions Ombres noires, 2016

mardi 6 septembre 2016

Derniers meurtres avant la fin du monde


Les éditions Super 8 présente une trilogie de l'Américain Ben H. Winters.


La fin du monde est proche. Hank Palace, jeune flic  du New Hampshire, le sait. La Terre entière aussi depuis le mois d'octobre. La faute à Maïa, un gros tas de cailloux de 6 km de diamètre qui fonce droit sur notre planète qu'elle percutera dans quelques mois. Évidemment, personne n'avait rien vu venir, ou alors personne ne croyait la chose possible. Pourtant l'impact se produira en Indonésie et progressivement l'occultation du soleil  mettra un terme à toute vie sur Terre. Le compte à rebours est lancé, alors le monde part en vrille : crise financière, institutions en déliquescence, lois d'exception, scènes de pillages, délinquance, abandons de postes. Nombreux sont ceux qui se carapatent pour réaliser leur rêve le plus cher comme pêcher la truite en Alaska, ou goûter à toutes les addictions possibles, bref se payer du bon temps avant la fin du monde.
Dans cette ambiance pré-apocalyptique, d'autres mettent les bouts de façon plus radicale. Le taux de suicide explose, alors pourquoi Hank Palace s'acharne-t-il à enquêter sur la mort de cet agent d'assurance retrouvé pendu dans les toilettes d'un MacDo ? Fin du monde ou pas, le flic est bien décidé à faire son boulot. Il remarque quelques détails troublants qui orientent l'affaire vers un assassinat.
Si l'enquête est de facture plutôt classique, le décor l'est beaucoup moins. C'est le point fort du roman et de la trilogie, à la fin inéluctable. On se laisse embarquer par les événements, à chaque page je me suis demandée ce que chacun de nous ferait. Et si c'était vrai ? Palace lui est confronté à cette vérité et son objectif en attendant le pire, c'est de préserver cette normalité dans un monde qui court à sa perte. Sa façon à lui de sortir la tête haute.
Il a le sens du devoir alors le jeune flic s'entête à faire son job, avec le peu de moyens encore accordés aux inspecteurs. Il s'attache à conserver une certaine normalité dans un monde qui ne l'est plus. Il déjeune chaque midi au restau du coin avec ses copains flics. Il protège et soutient sa petite sœur, s'entiche d'Houdini un petit chien qu'il adopte. Bref, des chouettes types dans un monde de salauds qui avancent à contre courant, gardant un peu de dignité jusqu'à la fin.
Comme un joli bras d'honneur à Maïa.

Mais que fait Bruce Willis ? On se le demande tout au long ce cet excellent roman ... Non, ne vous y trompez pas, Dernier meurtre avant la fin du monde est loin du cliché manichéiste Armaggedon ! Et Palace reste convaincu que la Terre n'a aucune chance de sauver sa peau, quoiqu'en disent quelques illuminés qui crient au complot et qui préparent leur survie post-apocalyptique. Et même Bruce Willis n'y peut rien.

Dernier meurtre avant la fin du monde, traduit de l’anglais (États-Unis) par Valérie Le Plouhinec, Super8 Éditions, 2015


Déclenchement du compte à rebours. J-77 avant Maïa
Si la société se délite à une vitesse incroyable, il reste néanmoins une poignée d'irréductibles hommes et de femmes d'honneur et de conviction. Henry Palace fait partie de ceux-là. Alors lorsque Martha Milano, son ancienne nourrice, lui demande de retrouver son mari disparu, il n'hésite pas un instant et lui promet de le retrouver. Elle est convaincue qu'il est parti accomplir une mission divine. 
Même scénario que le Livre 1. L'enquête n'a rien d'exceptionnel, si ce n'est qu'elle met en scène des personnages que tout oppose et qu'elle dévoile le côté obscure de notre société, à la veille de la fin du monde.
Plus d'école, plus d'hôpitaux, plus d'essence, chacun protège ce qu'il lui reste. Le rationnement alimentaire mis en place ne peut plus être assuré faute de production industrielle, tout le monde a foutu le camp pour essayer de sauver sa peau, laissant place à un marché noir impitoyable. L'approvisionnement en eau est également menacé. Survivre devient alors un combat quotidien. Des mouvements libertaires s'organisent, et des "semblants" de société égalitaires se mettent en place sur des campus.
Pour les autorités américaines, il s'agit à présent de stopper l'envahisseur qui fuit l'Asie du Sud-Est pour trouver refuge loin de la zone d'impact, venu sans doute piller les quelques réserves encore disponibles. Alors ça canarde à tout-va sur les côtes.
Au fil des pages, le personnage de Palace prend de l'épaisseur, bien décidé à faire ses propres choix sans déroger à  sa vision du monde, déclenchant parfois mon admiration !

Il faut reconnaître que Winters a un certain talent  pour faire monter la pression et faire grandir cette angoisse avant l'Apocalypse. On s'y croirait presque.
Winters pose un regard assez juste sur  la société, avec cette galerie de personnages tour à tour généreux et touchants,  mordants ou exécrables. Chacun d'entre eux choisit sa voie.

On devient vraiment addictif à cette histoire. La suite semble inexorable, le titre du Livre 3 à paraitre en septembre ne laisse pas de place au doute : Impact !




J-77, traduit de l’anglais (États-Unis) par Valérie Le Plouhinec, Super8 Éditions, 2016
          








dimanche 21 août 2016

Les Infâmes de Jax Miller

Le bandeau sur la couverture de ce polar annonce la couleur : " Je m'appelle Freedom Oliver. J'ai tué ma fille". Entrée en matière glaçante. Tous les chapitres commencent par la déclaration de son identité et Freedom nous raconte son histoire. Elle a de quoi raconter, tant sa vie a été jalonnée d'obstacles, de déconvenues et de mauvaises rencontres. Écouter un peu ça...

Freedom Olivier, alcoolique et suicidaire, a passé dix-huit ans à se cacher dans une petite ville de l'Oregon, sous protection du FBI. Hantée par son passé douloureux et la mort brutale de son mari, elle souffre d'avoir abandonné ses deux enfants pour échapper à la vengeance de son beau-frère. En apprenant la disparition de sa fille Rebekah, élevée par un pasteur aux croyances radicales, elle part avec l'énergie du désespoir pour le Kentucky. Après tant d'années à se cacher, quitter l'anonymat c'est laisser à son bourreau l'occasion de la retrouver. Et de se venger.

Les Infâmes a un GROS défaut : celui du premier roman. Jax Miller a ressenti le besoin urgent de raconter tous les maux et obscénités de la terre, sans doute tout ce qu'elle avait sur le cœur : violences conjugales, maltraitances d'enfants, abus sexuels, viol, adoption, dysfonctionnements de la justice et de la police, obésité, secte, suicide collectif, terrorisme, handicap, indiens sans terre, légendes indiennes, bikers endiablés, tout y est ! Et là je dis trop c'est trop ! Lourd fardeau pour Freedom Oliver...
Les personnages sont caricaturaux. Par exemple Freedom alcoolique stocke ses petits pilules pour mettre les bouts mais auparavant elle doit montrer de quoi elle est capable, façon Wonder woman. Et le jeune flic du coin, jeune papa qui élève son fils seul, en pince pour cette écorchée vive, il est prêt à tout pour la sortir de cette sale affaire. Heureusement son ex-beau-frère handicapé moteur qui se fait passer pour un débile "vole" au secours  de Freedom.
En prime, invraisemblances et scenario mal ficelé achèvent une bonne fois pour toutes le roman.

Le polar a obtenu le Grand prix des lectrices ELLE policer 2016. On pouvait trouver mieux !?

Les Infâmes de Jax Miller traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire-Marie Clévy, aux Editions Ombres noires, 2015

mardi 9 août 2016

Marli Roode, la relève sud-africaine

Marli Roode est née en Afrique du Sud puis l'a quittée dix-sept ans plus tard. A Londres, elle s'intéresse à la philosophie et au journalisme. Son parcours ressemble à celui de Jo Hartslief, l’héroïne de son premier roman Je l'ai appelée Chien.
Point de départ de l'histoire : Jo est jeune journaliste anglaise qui a coupé les ponts avec son père Nico, raciste et fervent défenseur du régime de l’apartheid. Elle revient en Afrique du Sud à l'occasion d'un reportage sur les émeutes contre les immigrants dans un township de Johannesburg. Son père resté au pays reprend alors contact avec elle. A la demande pressante de ce dernier qui est accusé d'avoir participé au meurtre du militant anti-apartheid Vusi Silongo en 1983 avec les forces spéciales, elle décide de l'aider. Elle va alors écouter le récit de son père, qui tente de se disculper. Point de départ du road trip vers le lieu du crime et à la rencontre de ceux qui ont participé à l’exécution. Le père embarque sa fille dans un voyage semé de pièges et de mensonges, à la fois fuite en avant et retour sur un terrifiant passé. Angoisse assurée !

Marli Roode a choisi mêler le présent et le passé de façon assez déroutante. Et ça fonctionne. On s'interroge sur la culpabilité de cet homme, l'auteur laisse la part belle à de nombreuses questions sans réponse. Nico est-il réellement victime d'un odieux chantage ou a-t-il participé à ces atrocités et manipule sa fille ? Qu'a découvert Jo dans le township et qui est exactement Paul, le fonctionnaire du gouvernement qui la suit à la trace ? Jo s'invente-elle un passé à partir des révélations confuses de son père ? Comme le lecteur, Jo est ébranlée par ce qu'elle entend et par l'attitude de son père qui semble vouloir se racheter de les avoir abandonnées, elle et sa mère.

Marli Roode fait partie de cette jeune génération qui a hérité de l'histoire de son  pays et du devoir de transmission. Elle mêle les événements récents à ceux des heures les plus sombres de l'apartheid. Faisant la preuve que l'Afrique du Sud  n'en a pas terminé avec la ségrégation et la xénophobie. Comme un éternel retour des pires atrocités qu'a subies le pays. Bien sûr, à partir de 1995, le pays a misé sur la commission Vérité et Réconciliation pour s'assurer un futur apaisé mais malgré tout, comment accorder le pardon à ses proches qui ont du sang sur les mains ? Comment accepter de croiser ces bourreaux en liberté ? Pari difficile pour les jeunes Sud-africains résolument tournés vers le futur mais confrontés aux relents du passé de leur pays. Marli Roode a dressé une série de portraits très touchants de jeunes femmes et hommes qui constituent la génération des freeborn d'Afrique du Sud. Ce qui semble être le cœur de ce roman.
Le rythme du roman est un peu lent et décousu mais il laisse par moment place à des scènes d'émeutes très violentes. Une actualité qui rappelle forcément les images des émeutes de Soweto en 1976 et de Sharpeville en 1960, même si le contexte n'est pas le même. Je l'ai appelée Chien  est un roman politique d'une violence qui glace le dos.
Mais c'est surtout un récit subtil notamment sur les relations entre un père et sa fille qui se resserrent puis s'étiolent au fil de ce voyage, dans des paysages envoutants d'Afrique australe.

Je l'ai appelée Chien de Marli Roode, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Fabienne Duvigneau, Rivages 2016





samedi 18 juin 2016

Polar d'Afrique :Janis Otisemi




J'entreprends un tour d'Afrique, une envie qui me titille depuis une conférence à Quais du Polar à Lyon cette année. Autour de la table intitulée "Le monde qui vient passe par l'Afrique"*, une alléchante brochette d'écrivains de polars venus du continent africain : Leye Adenle (Nigéria)  -voir ma récente chronique sur Lagos lady- , Kangni Alem (Togo), Michèle Rowe (Afrique du Sud) -voir ma récente chronique sur Les enfants du Cap- Ahmed Tiab (France, né à Oran) et Janis Otsiemi du Gabon. "Une littérature des multiplicités et des diversités d'Afrique " avec pour chacun de ces auteurs une vision du monde différente, propre à la culture qu'il a reçue. Il y a beaucoup d'Afrique en un seul mot. 

J'explore l'Afrique sous toutes ses formes, et justement un arrêt à Libreville en vaut le détour.

A un an des élections, le corps d'un journaliste d’investigation est retrouvé sur la plage. A qui profite le crime ? Selon toute vraisemblance, Roger Missang est victime d'un règlement de compte politique. Le président de la République est candidat à sa propre succession. Alors, on a voulu se débarrasser d'un fouineur, qui n'hésitait pas à critiquer le parti au pouvoir dans les colonnes de l'hebdo indépendant "les Echos du sud". Mais en Afrique, les apparences sont parfois trompeuses... Au poste de la Police judiciaire de Libreville, d'autres affaires gravitent autour de ce meurtre. Prostitution de mineurs  sur internet, chéquier ministériel volé, les sales affaires ne manquent pas.


Comme souvent dans les polars qui plantent le décor sur le contient noir, on retrouve tous les travers de l'Afrique : corruption à coups de pétrodollars, injustice sociale et politique, immunité de certains Blancs haut - ou bien - placés, liberté de la presse, pauvreté et ghettoïsation, et une société africaine tiraillée entre modernisme et  traditions. Sans aucun doute la réalité politique et sociale.


Janis Otisemi  raconte la réalité de son pays, celle qui se cache derrière la carte postale pour touristes.
Il a "cette volonté de décrire une part d'humanité qui dépasse celle du continent africain" en portant la parole de ce (petit) peuple qu'il connait si bien. Lui aussi est un gamin des bidonvilles, fils d’ouvrier dans le bâtiment et d’une marchande de manioc. Il se plait à user de ce ton corrosif avec lequel il frappe fort. Sans tâtonnement. Il joue parfois avec le feu. Quelques contorsions stylistiques sont des astuces pour dissimuler les choses. La liberté de ton a ses limites au Gabon. Menaces et représailles envers la famille sont  une épée de Damoclès à sa liberté de parole.
Le polar manque un peu de rythme, (et parfois j'ai parfois frôlé l'ennui....) jusqu'au moment où Otisemi nous réveille avec une expression piquante et drôle : rebeloter (répéter), le boussolier (le guide), le téléphone grelotte (il vibre), tourner le cerveau (réfléchir), se serrer l'os (la main), avoir un long crayon (avoir fait de longues études universitaires). Des dialogues aux expressions très imagées que Otsiemi emprunte à la langue française avec laquelle il joue comme un sale gamin ! "Ecrire est toujours une réflexion sur la langue" et il apprécie particulièrement de "jargonner le français, le triturer, se l’approprier, d'où la nécessité des notes en bas de page", un peu comme les Québecois.

Si on est tenté de dire qu'il s'agit d'une langue exotique, lui répond : "Ca n'a rien d'exotique, c'est celle que je parle tous les jours au quartier. J'écris le français avec lequel nous vivons. C'est une langue qui m'habite et j'habite cette langue".
Janis Otsiemi est aujourd'hui un des rares auteurs d'Afrique reconnu et primé dans son pays et à l’étranger. Un écrivain qui monte, pour preuve ce papier élogieux dans Libération à l'occasion de son passage à Lyon. 

Petit regret : Pourquoi Jigal persiste à éditer des polars aux couvertures aussi peu attrayantes... ? Par chance, African tabloïd vient d'être publié chez Pocket.


African Tabloïd de Janis Otsiemi , Jigal Polar 2015




*Ecouter ou ré-écouter les rencontres et conférences Quais du Polar 2016 gratuitement en replay !
Rendez-vous sur le site www.live.quaisdupolar.com, une solution dévelopée par Le Sondier.

samedi 11 juin 2016

Moussa Konaté et L'affaire des coupeurs de têtes


Dernier roman de Moussa Konaté, quelques mois avant sa mort en 2013.  Il y décrit avec tendresse et ironie le village où il a passé une partie de son enfance. Le coupeur de têtes officie à Kita, au Mali. Ses victimes sont des mendiants. Le commissaire Dembélé secondé de Sy sont chargés de l'affaire, rapidement rejoints par le commissaire Habib et son adjoint Sosso venus de la ville pour leur prêter main forte. En effet, l'affaire est corsée : les têtes tombent les unes après les autres, un Esprit vêtu de rouge et armé d'un coupe-coupe hante le village et sème la terreur à la nuit tombée, un mécréant en fait les frais, Sosso est victime d'une tentative de meurtre, une taupe se planque au commissariat et le fou Ngaba traine ostensiblement sur les scènes de crimes..
Ce polar vous assure un dépaysement total !
On est bien loin des méthodes d'investigation américaines ! Même si les intérêts en jeu sont tout aussi vénaux que chez l'oncle Sam... "La scientifique" n'est pas la préoccupation première des enquêteurs. Plutôt du genre bonnes vieilles méthodes : observer et écouter... Au final, l'enquête se boucle façon "Whodunit" et Agatha Christie, dans un salon où sont rassemblés les autorités et les principaux protagonistes.
Toute l’histoire se concentre sur l'histoire du village et de ses habitants et sur leur tiraillement entre croyances ancestrales, sorcellerie et modernité. Pas facile pour certains de se défaire de ces dogmes, les plus jeunes franchissent le cap séduits par plus de modernité, les plus malins les utilisent pour multiplier supercheries et manipulations et se faire la meilleure place au soleil. 
La place de la religion, notamment l'islam, est, elle, aussi essentielle. Le roman nous plonge complétement dans les traditions et la société malienne.
La cohabitation au sein du village entre ethnies Malinkés, Bambaras et Peuls donnent lieu à des conversation ponctuées d'expressions croustillantes, "à l'africaine" ! On sent alors tout l'attachement de l'auteur pour son pays.
En quelques mots, une belle découverte du Mali avec Moussa Konaté. Une écriture simpliste et parfois maladroite (l'éditeur précise que le décès soudain de l'auteur n'a pas permis de réécriture de certains passages) qui ne doit dispenser de ce roman très plaisant et des autres titres du même auteur.

L'Affaire des coupeurs de têtes de Moussa Konaté, Métailié, 2015