samedi 11 juin 2016

Moussa Konaté et L'affaire des coupeurs de têtes


Dernier roman de Moussa Konaté, quelques mois avant sa mort en 2013.  Il y décrit avec tendresse et ironie le village où il a passé une partie de son enfance. Le coupeur de têtes officie à Kita, au Mali. Ses victimes sont des mendiants. Le commissaire Dembélé secondé de Sy sont chargés de l'affaire, rapidement rejoints par le commissaire Habib et son adjoint Sosso venus de la ville pour leur prêter main forte. En effet, l'affaire est corsée : les têtes tombent les unes après les autres, un Esprit vêtu de rouge et armé d'un coupe-coupe hante le village et sème la terreur à la nuit tombée, un mécréant en fait les frais, Sosso est victime d'une tentative de meurtre, une taupe se planque au commissariat et le fou Ngaba traine ostensiblement sur les scènes de crimes..
Ce polar vous assure un dépaysement total !
On est bien loin des méthodes d'investigation américaines ! Même si les intérêts en jeu sont tout aussi vénaux que chez l'oncle Sam... "La scientifique" n'est pas la préoccupation première des enquêteurs. Plutôt du genre bonnes vieilles méthodes : observer et écouter... Au final, l'enquête se boucle façon "Whodunit" et Agatha Christie, dans un salon où sont rassemblés les autorités et les principaux protagonistes.
Toute l’histoire se concentre sur l'histoire du village et de ses habitants et sur leur tiraillement entre croyances ancestrales, sorcellerie et modernité. Pas facile pour certains de se défaire de ces dogmes, les plus jeunes franchissent le cap séduits par plus de modernité, les plus malins les utilisent pour multiplier supercheries et manipulations et se faire la meilleure place au soleil. 
La place de la religion, notamment l'islam, est, elle, aussi essentielle. Le roman nous plonge complétement dans les traditions et la société malienne.
La cohabitation au sein du village entre ethnies Malinkés, Bambaras et Peuls donnent lieu à des conversation ponctuées d'expressions croustillantes, "à l'africaine" ! On sent alors tout l'attachement de l'auteur pour son pays.
En quelques mots, une belle découverte du Mali avec Moussa Konaté. Une écriture simpliste et parfois maladroite (l'éditeur précise que le décès soudain de l'auteur n'a pas permis de réécriture de certains passages) qui ne doit dispenser de ce roman très plaisant et des autres titres du même auteur.

L'Affaire des coupeurs de têtes de Moussa Konaté, Métailié, 2015






jeudi 19 mai 2016

Trois jours et une vie

C'est une erreur de penser que Pierre Lemaitre n'est que le lauréat du Prix Goncourt 2013. Il a auparavant écrit des romans policiers très réussis et le voilà de retour avec un roman noir mais qu'on ne peut pas vraiment qualifier de policier. Quoique ...

Dès les premières pages on connait l'identité du meurtrier. En 1999, Antoine, un gamin ordinaire de douze ans tue Rémi, un enfant de six ans. De rage, pour une histoire de chien. Dans le décor d'une forêt du Jura, il dissimule le cadavre. Personne ne l'a vu, il en est convaincu. Les faits sont là, incroyablement simples et déroutants.
Comme Antoine ne veut pas faire de peine à sa mère qui surement en mourait de honte dans ce petit bourg de province où tout le monde se connait, il décide se taire. A tout jamais. 

Le criminel se place au centre du roman. L'enquête est secondaire, d'ailleurs avec le temps et les événements, et en l'absence d'indices, on la relègue rapidement. C'est d'une cruauté implacable et le portrait de l'enfant disparu jaunit avec les années dans les vitrines des commerçants.

Ne reste que Antoine, avec sa culpabilité. Comment ce gamin va-t-il vivre avec ce poids sur la conscience dans ce village, avec pour voisins la famille de Rémi ? Comment survivre avec cette détresse et cette angoisse qui le submergent rapidement puis, au fil des années, qui s'enfouissent au plus profond de sa vie de jeune adulte, refaisant surface au cours des rares visites qu'il fait à sa mère ? Comment un instant dans la vie d'un enfant sans histoires le transforme en meurtrier, en piètre lâche, mais comment s'en sortir seul quand on a douze ans... même si il suppose que d'autres connaissent son secret et lui accordent leur protection tacite.
La fuite et le mensonge, voilà la solution qui s'imposera à lui tout au long de sa vie. 

Le dénouement en 2015 nous soulage d'un poids, celui-là même qu'on a porté tout au long du roman. Le poids de la culpabilité et cette tristesse envahissante devant la vie ratée d'Antoine

Ecrire un roman post-Goncourt n'est pas chose facile (une nouvelle parfaitement ciselée aurait fait l'affaire peut-être...) mais largement à la portée de cet auteur qu'il ne faut plus lâcher. 
Ouf, Lemaitre garde encore le roman noir et policier au centre de ses préoccupations. Et encore une fois, il présente un tableau peu reluisant de la vie de province, avec quelques personnages détestables. 

Maintenant j'attends avec impatience la suite de la trilogie entamée avec Au revoir là-haut ...

Trois jours et une vie de Pierre Lemaitre, Albin Michel, 2016





Lagos lady


Lagos, Eko en yoruba. La capitale du Nigeria se distingue en occupant une place de choix dans le tout premier roman de Leye Adenle. Ville la plus peuplée du continent africain, tentaculaire au bord du golfe de Guinée où townships de maisons sur pilotis et quartiers chics de Victoria Island s'y côtoient. Ville de tous les dangers gavée d'une criminalité endémique. Les superlatifs ne manquent pas...
A la veille des élections présidentielles, le journaliste Guy Collins y débarque pour la première fois, il ne sera pas déçu de son voyage. Nous non plus ! Dans un bar, il fait la rencontre d'Amaka, plantureuse nigériane. La Lagos lady a pris le parti, à haut risque, de défendre et de veiller sur les milliers de prostituées de la capitale, victimes d'injustices de la part de la police, vols, discriminations, maltraitances de clients et meurtres. Guy Collins en est témoin devant un bar, révulsé devant le cadavre mutilé d'une fille. Le commerce du juju, les gri-gris de chair humaine, est monnaie courante en Afrique, surtout la veille d'échéances politiques cruciales. Amaka soupçonne Chief Amadi d'être un pilier de ce commerce nauséabond et responsable de ces meurtres rituels qui se multiplient. Elle embarque le journaliste dans cette sordide affaire de rituels africains, et lui demande de témoigner au monde des cruautés et des horreurs subies par les prostituées de Lagos au nom de croyances ancestrales et  de faire des révélations explosives sur des personnalités de Lagos .

Roman survolté, Lagos lady va à cent à l'heure. Polar effréné au rythme des courses poursuites, des attaques policières et règlement de comptes, le tout filmé par un Tarantino à la sauce africaine sur fond de musique de l'incontournable Fela. Pleins feux sur des personnages rongés par le vice (élites corrompues et policiers véreux) ou totalement déjantés, mais parfois aussi pleins d'humanité. Ce qui nous accorde quelques bons moments de rire et d'espoir !
Lagos lady porte un autre regard sur la prostitution dans la mégapole africaine. Les prostituées, souvent de jeunes filles, arrivent du Togo ou du Ghana. Amaka fait figure d' ange gardien pour ces femmes qui n'ont pas choisi de livrer leur corps. "Toutes vendaient leur corps pour une bonne raison aussi dérangeant que cela puisse paraitre ." Pourtant leur activité est illégale au Nigeria, et elles mettent leur vie en jeu chaque jour. L'association Les bons Samaritains fondée par Amaka tisse minutieusement un réseau de soutien médical, juridique et social et aide ses femmes à quitter le trottoir et trouver un emploi.

J'ai adoré Lagos Lady ! Le roman surprend avec des effets très cinématographiques et des dialogues piquants et ponctuées d'expressions du dialecte yoruba local.
Ce n'est pas qu'un roman sur la prostitution, c'est aussi un coup de projecteur sur la société africaine, notamment sur la police, et plus particulièrement le Nigeria.

Lagos lady de Leye Adenle  traduit de l'anglais par David Fauquemberg, Métailié Noir, 2016



jeudi 5 mai 2016

Les enfants du Cap

Perséphone, curieux prénom pour un flic ! 
Persy Jonas, jeune métisse, a décidé de raccourcir son prénom sorti du chapeau de son grand-père Poppa le jour de sa naissance, en hommage à une divinité grecque. Elle a été élevée par Poppa, dans une petite ville de la péninsule du Cap, au milieu des fynbos, avec son meilleur ami Sean. Élevé à coups de trique par son père, lui n'a pas eu autant de chance. Dans cette société sud-africaine post-apartheid, Poppa s'est battu pour que sa petite-fille entre dans une école réputée du Cap plutôt fréquentée par des Blanches et des métis de bonnes familles. Alors quand elle est entrée à l'école de police, le vieux monsieur a été surpris par ce choix. 

Persy vit aujourd'hui dans la banlieue du Cap comme de nombreux travailleurs noirs et les laisser-pour-compte blancs, noirs et métisses. Dans ces townships, les cabanes miséreuses sont plantées dans un paysage côtier éblouissant, à quelques kilomètres des villas coloniales et prétentieuses des Blancs. 

La péninsule du Cap est le théâtre majestueux d'une lutte acharnée entre défenseurs de la protection de la flore et de la préservation des paysages et farouches partisans du développement immobilier de la région. Des convoitises foncières seraient à l'origine du meurtre de Andy Sherwood, retrouvé sans vie sur la plage de Noordhoek par Marge Labuschagne. Autrefois psychologue criminelle, elle s'est rangée et est engagée pour la protection du littoral. L'affaire a été confiée à Persy. Les deux femmes s'obstinent à faire toute la lumière sur ce meurtre étroitement lié à des affaires plus anciennes, enfouies au plus profond de leurs âmes.

Marge et Persy, deux vies opposées. L'une est Blanche et a vécu sous le régime de l'apartheid, a participé aux commissions Vérité et réconciliation. L'autre est une métisse "freeborn" (les enfants nés après 1990, à la fin des lois apartheid). Leur rencontre fait des étincelles. Elle met en lumière les vieux démons toujours présents en Afrique du Sud : expropriation des plus pauvres, dominance et mépris des Blancs, townships et zones de non-droits et crise sociale. Le polar nous plonge au cœur de la nouvelle société arc-en-ciel qui se retrouve à présent confrontée à des obstacles de taille. Avec un taux de criminalité et la violence sans précédent, la corruption policière, l'immigration galopante et les spéculations économiques effrénées, le pays a déchanté. L'euphorie et les espoirs nés aux lendemains des premières élections démocratiques se sont éloignés.

Tout juste publié en France, le premier roman de Michèle Rowe retrace l'histoire touchante de ces deux enfants et de cette femme larguée. Bon point, l'intrigue du polar est nerveuse et bien menée. Il est comparé à ceux écrits par le talentueux représentant sud-africain Deon Meyer. Pourquoi pas, mais on attend de lire la suite des enquêtes de Perséphone. En espérant qu'elles nous conduisent encore une fois dans le décor de la péninsule du Cap.

Les enfants du Cap, de Michèle Rowe, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Esther Ménévis, Albin Michel, 2016




lundi 28 mars 2016

Qui a tué l'ayatollah Kanuni ?

Un titre simple qui résume toute l'intrigue de ce roman de l'Iranienne Naïri Nahapétian.

L'ayatollah Kanuni, un barbu du régime d'Iran, est au centre du polar. Retrouvé assassiné dans son bureau du palais de justice. Découvert par une féministe islamique fortement engagée politiquement, Leïla, et un jeune Français Narek ignorant tout de ses origines iraniennes qui y séjourne comme jeune reporter pour un hebdo parisien à l'occasion des élections présidentielles. Mirza Mozaffar, un ancien ministre laïque et amie de Leïla, enquête lui aussi à leur côté. Une enquête qui s'avère rapidement difficile et dangereuse. Car qui en veut à l'ayatollah ? Anciens rivaux, assassinat lié aux guerres de pouvoir, ou à des  intérêts économiques bien dissimulés ? Non rien n'est simple dans ce contexte politique en 2005. Le roman nous conduit à la veille de la première élection d'Ahmadinejad," le fanatique " ou celui que " les vrais Iraniens adorent ". Un pays imprégné d'islam, au cœur de la vie des Iraniens - surtout celles des Iraniennes - le pétrole et le gaz comme monnaie d'échange avec les puissances occidentales, la diabolisation des Américains, les moudjahidin et les prisons où s'entassent opposants politiques et religieux de tous âges. Les enquêteurs vont découvrir que le pouvoir est gangréné par la corruption, en particulier les fondations islamiques, et surtout que l'argent au cœur des ce trafic n'a pas d'odeur.

Belle invitation  au pays des Barbus d'Iran, guidée par cette Iranienne qui vit en France depuis l'âge de neuf ans, aux lendemains de la Révolution sanglante islamique. Elle propose un portrait surprenant de Leïla, féministe islamique d'Iran, à la fois intriguée et apeurée par la notion de Liberté des pays occidentaux. Et un coup de projecteur fascinant et effrayant sur l'Iran. 
Sûr ! Rien n'a voir avec un polar suédois !

Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? de Naïri Nahapétian, Liana Lévi, 2008.

samedi 19 mars 2016

Il reste la poussière


Quatrième roman paru dans l'excellente collection "Sueurs Froides" de Denoël, Il reste la poussière confirme (si cela était encore bien nécessaire...) le talent de Sandrine Collette, championne hexagonale du huis clos.

Si dans Nœuds d'acier Théo était réduit à l'état de bête confinée au fond de la cave de deux vieux frères cruels et dépourvus de toute humanité, Rafael lui subit l'impitoyable cruauté de ses frères au beau milieu des grands espaces de la steppe argentine. La Patagonie semble alors tout aussi oppressante que cette cave. Des terres à perte de vue, où le bétail s'égare, les hommes aussi d'ailleurs. Une estancia posée au milieu de nulle part, balayée par le vent.  Et la ville à quelques heures de cheval. C'est dans ce décor, au début du siècle dernier, que grandit le gamin de dix ans. Avec ses frères ainés, les jumeaux Joaquim et Mauro, Steban, et "la mère". Increvable et vieille crevure qui mène la ferme et ses fils d'une main de fer. La vie est un enfer pour Rafael souffre-douleur des jumeaux, il est prisonnier de leur haine. Rien à attendre de la mère, qui n'a pour obsession que le bétail et la survie de la ferme depuis que le père s'est "volatilisé" un beau matin. Quand elle descend à la ville pour affaires, elle picole et joue au poker les quelques billets âprement gagnés par le travail de bête de ses fils. C'est à la table de jeu que l'histoire de la famille bascule, quand, à sec de billets, elle mise son aîné...

La cruauté n'a pas de limite pour Sandrine Collette, mais elle façonne des personnages qui lui résistent avec acharnement. Ce gamin affronte la rudesse de son existence avec beaucoup d'humanité. Il fait face à cette haine quotidienne, il a pour seuls compagnons son cheval et son chien. Sans avoir les mains liées, il est prisonnier de la fratrie. Il les deteste tous mais comment s'en détacher ? Vers qui se tourner de toute façon ? Et partir où ? Où chercher la liberté ? Rafael ne connaît que la ferme et les terres alentours où il chevauche sur les traces des troupeaux. Un jour, enfin la chance lui sourit, il fait la rencontre de l'abuelo et du "bonheur"qui lui sauveront la vie. Lui qui ne connaît que le mot "malheur" que la mère vocifère chaque jour.

On retrouve dans le roman tous les sujets de prédilection de Sandrine Collette -  fratrie cruelle exempte d'amour, violence et cruauté des hommes, territoires inhospitaliers et climats rigoureux - avec beaucoup de justesse, sans concessions. Et sur les terres argentines, elle nous dévoile sa passion pour les chevaux.
Grande voyageuse dans l'âme, Sandrine Collette nous entraîne dans des paysages très différents qui rendent souvent les âmes noires aux hommes qui y vivent : décor rural du fin fond de la France, montagnes d'Europe centrale, et pour Il reste la poussière, on file en Patagonie, au début du siècle, où les petits éleveurs tentent de survivre face à la prolifération des grands élevages de bovins, à la "viande sans goût". Les prémices de la "mondialisation moderne" y éradiquent déjà de façon impitoyable les petits paysans.
Quel roman noir ! Il me rappelle celui de Anne-Laure Bondoux Les larmes de l'Assassin, merveilleuse histoire plantée dans ces paysages de désolation argentins où un gamin est confronté à la cruauté humaine. Même innocence et même espérance. 
Les dernières pages sont jubilatoires ! Eblouissantes ! Rafael est enfin libre...

Il reste la poussière de Sandrine Colette publié aux éditions Denoël, 2016



dimanche 6 mars 2016

Les enfants de l'eau noire


Welcome to Texas ! Années 1930. Élevée dans la misère au bord de la Sabine, May Linn, jolie brin de fille de seize ans, rêve de devenir star de cinéma. Un rêve qui s'achève brutalement lorsqu'on repêche dans le fleuve son cadavre mutilé, retenu au fond de l'eau par une vieille machine à coudre. Pas d'enquête, à quoi bon déranger les forces de l'ordre pour une miséreuse. D'ailleurs elle sera enterrée au cimetière des indigents.
Sue Ellen, sa camarade adolescente, accompagnée de ses amis Terry, beau garçon homosexuel, et Jinx, une jeune Noire qui n'a pas la langue dans sa poche, décident alors de l'exhumer, de l'incinérer et d'emporter ses cendres à Hollywood, l'endroit de ses rêves ! Pour cela ils doivent descendre le fleuve...
Voler un radeau rien de plus facile, mais ils ont besoin de quelques dollars pour arriver jusqu'à destination. Avec beaucoup de culot, les gamins récupèrent le magot d'un hold-up. Ensuite, la bande rejointe par la mère dépressive de Sue Ellen, s'embarque dans une périlleuse descente du fleuve, le diable aux trousses. Car non seulement Sy, flic violent et corrompu, et l'oncle Eugene bien décidé à récupérer le pognon les pourchassent, mais Skunk, un monstre sorti de l'enfer, cherche aussi à leur faire la peau. 

De la littérature américaine pur jus ! 

Décor Deep South. Joe R. Lansdale, Texan originaire de Gladewater, connaît bien son affaire. Quinze ans après son chef d’œuvre les Marécages, il plante à nouveau le décor dans le grand Sud américain. La Sabine est la colonne vertébrale de ce roman. Le corps de May Linn y repose. Eaux noires et profondes comme l'enfer et souvent tumultueuses, elles donnent du fil à retordre au radeau. Mais elle reste surtout la seule voie pour fuir, pour ses gamins partir vers une vie meilleure. Eaux sacrées du baptême aussi pour le révérend rencontré au bord du fleuve. Fleuve aux eaux noires salvatrices, nourricières, impitoyables et protectrices parfois, la Sabine ne sera pas pire que la cruauté des hommes.

Ambiance à la Steinbeck. Landsdale s'attache à décrire le sort des petites gens et les douleurs de leur vie. Le roman se déroule pendant la Grande Dépression des années 30. Le krach de 1929 a laissé des traces : récession économique, appauvrissement de la société, ségrégation raciale. Les gamins crèvent de faim, chacun essaie de sauver sa peau, les flics véreux ne font plus la loi, les Noirs sont de vulgaires négros qui doivent rester à leur place... Les fuyards feront une sordide rencontre au bord au fleuve, comme une sorcière sortie de la noirceur des bois. Une vieille femme acariâtre habite dans une bicoque au bord de la Sabine, fille de de cotonniers esclavagistes et ruinés, encore marquée par des vieilles rancœurs de la guerre de Sécession. Sacrée personnage emblématique du Deep South des années trente !

Roman sur l'enfance (Tom Sawyer, Huckleberry Finn les revoilà...), l'adolescence et l'émancipation évidemment. Soudés par une amitié inébranlable, Sue Ellen, Terry et Jinx cherchent tous à fuir leur crasses et leur vie de misère. Marre de se faire tripoter par un père alcolo, de vivre comme des loques ou des larbins, de se faire traiter de négresse ou de pédé, ils ont décidé de choisir leur destin et de ne plus subir. 

Pas vraiment un roman policier, comme souvent dans la collection Sueurs froides que j'apprécie tout particulièrement, les Enfants de l'eau noire serait plutôt le remake angoissant de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. Ce qui en fait inévitablement un bon roman !

Les Enfants de l'eau noire de Joe R. Lansdale traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc, Denoël 2015