samedi 22 avril 2017

Les larmes noires sur la terre

Changement décor pour le nouveau roman de Sandrine Collette. De la Patagonie (le décor de Il reste la poussière) elle nous ramène dans l'Hexagone. Un endroit quelque part, sans avoir où exactement. dans la vallée d'un barrage, entourée par une grille, où on a posé "la Casse". Comme dans un immense bidonville, des miséreux s'y entassent. Les cahutes ont été remplacées par de vieilles carcasses de voitures. La société y a parqué ceux dont on ne sait plus quoi faire. C'est dans ce taudis, qu'échouent Moe une "fille des îles" avec son bébé. 
Son rêve a mal tourné. Sans trop hésiter, quelques mois plus tôt, elle a quitté son île, au bras de Rodolphe qui  lui promettait monts et merveilles dans la métropole. Au final, il en fera sa boniche, le cauchemar ne fait que commencer pour Moe. Elle prend la fuite avec son bébé mais totalement démunie, à bout de souffle, elle échouera à la Casse. Son salut, elle le devra à un groupe de cinq  femmes, ses voisines qui l'épauleront et lui sauveront la vie et celle de son enfant.

Ce conte du 21e siècle, qui se déroule dans les années 2030, n'a rien de prémonitoire. En marchant dans les pas de Moe, on se repasse les images d'actualité de la Jungle de Calais, et celles des laissez-pour-compte qui vivent aujourd'hui dans leur voiture. Moe n'a pas eu le choix, contrainte par les services sociaux à vivre dans ce taudis, au seul motif de ne rien faire et d'errer dans la rue. Sa survivance a un coût. Il faut travailler pour 80 centimes de l'heure aux champs et le loyer mensuel de son épave est de 200 euros. Qu'elle ne pense pas à quitter la Casse, elle devrait trimer toute une vie pour économiser les 15 000 euros de droit de sortie.
Quand on rencontre Sandrine Collette, (il ne fallait pas la manquer à Quais du Polar, à Lyon !) elle le répète ; l'idée de ce livre était de raconter le parcours de femmes ordinaires. Alors, tour à tour, elle donne la parole à ces femmes Ada, la Vieille, Jaja La guerrière, Marie-Thé la Douce, Nini Peau de chien et la Poule. Elles racontent à Moe leur histoire personnelle, difficile, douloureuse et atroce, révoltante et d'une réalité angoissante qui nous saute à la face. Tout peut basculer, à tout moment. La force de ces femmes est incroyable et leur solidarité bouleversante. Elles donnent du sens au mot fraternité et humanité.

Sandrine Collette n'a pas mis de coté son obsession de l'enfermement, bien au contraire. La Casse ne ressemble à rien d'autre qu'une prison aux murs infranchissables, gérée par l'Etat. Le décor planté dans ce no'mans land de terre battue nous étouffe, l'évasion impossible.
Elle évoque toute la noirceur de cette société qui court à sa perte et tous les travers qui la déshumanisent : la prostitution, la précarité, l'esclavagisme, le chacun pour soi, les abus de l'état de droit, l'indifférence et j'en passe. Ou j'en oublie volontairement, préférant parler de l'espoir qui est le mot de la fin de ce roman. Un pas de côté pour Sandrine Collette qui nous avait habitués à des chutes plus douloureuses et noires.

Ne passez pas à côté de ce livre, et en règle générale, lisez Sandrine Collette ! Sans plus attendre.

 Les larmes noires sur la terre de Sandrine Collette, Denoël 2017

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